Gouvernance et compétitivité

Jusqu’où comparer la France et l’Allemagne ?

05 juin 2012

Le prix de la réussite allemande est celui d’une spécialisation de l’économie et d’une fragilisation des travailleurs.


Déficit commercial français abyssal contre excédent record allemand, taux de chômage près de deux fois inférieur outre-Rhin. Même le recul du Pib depuis le début de la crise financière en 2007-2008 y est beaucoup moins fort. Et depuis, alors que la France perdait 353 000 emplois, l’Allemagne en gagnait 225 000. Quel est le secret ?

Ces constats globaux masquent la réalité sociale, donc celle du travail. Inégalités et pauvreté sont le revers de la médaille du modèle allemand. Ce sont les lois Hartz, adoptées entre 2003 et 2005 sous Gerhard Schröder, qui ont profondément modifié la réglementation du travail. Résultat : de 2000 à 2010, le nombre de salariés à temps partiel a augmenté d’une manière spectaculaire alors qu’en France sa proportion est restée à peu près stable. Le recours au chômage partiel est lui aussi nettement plus élevé en Allemagne qu’en France. L’ampleur prise par le secteur des bas salaires en Allemagne explique des écarts globaux bien plus importants qu’en France, notamment entre le salaire médian et les bas salaires. Ces dernières années, la proportion de salariés rémunérés au Smic en France a oscillé autour de 10%, alors qu’en Allemagne les bas salaires concernent 22,7 % des salariés. Les bas salaires sont endémiques dans certains secteurs tels que les intérimaires ou la restauration. On note aussi des inégalités de genre et de génération : ce sont les jeunes et les femmes qui sont la variable d’ajustement.

Quid du temps de travail ? Pour les salariés à plein temps, l’horaire moyen hebdomadaire est légèrement supérieur en Allemagne à celui qui existe en France (40,6 heures contre 39,4). C’est l’inverse pour les salariés à temps partiel (respectivement 18,4 contre 23,2). Si bien que, compte tenu de l’ampleur prise par le temps partiel, l’horaire hebdomadaire moyen sur l’ensemble des salariés est sensiblement inférieur en Allemagne par rapport à la France : 34,7 heures contre 36,5. Il est donc bien difficile de dire si nos voisins travaillent globalement plus que nous.

 

Le prix social de la réussite est donc conséquent. En France, le dispositif d’extension des conventions collectives permet d’assurer une couverture à 98% des salariés. En Allemagne, ce taux est en constante diminution : en 2010, il est tombé à 56 % dans les Länder de l’Ouest et à 37 % dans ceux de l’Est. Le taux de pauvreté monétaire est plus important en Allemagne depuis le milieu des années 2000. Sur de très nombreux différents aspects (proportion dans les bas salaires et dans le temps partiel), les femmes sont les grandes perdantes du creusement des inégalités. Pour celles qui travaillent, parce que le taux d’activité est très faible. Enfin, la fécondité y est beaucoup plus forte en France.

Alors, oui, l’Allemagne est plus compétitive si on se limite au coût du travail. Au cours de la décennie 2000, il a évolué moins vite qu’en France. Mais ceci s’explique aussi par le transfert d’une partie des charges sur les salaires vers la fiscalité (les impôts). Comparaison n’est donc pas raison. Le modèle allemand est tenable par sa spécialisation dans l’export des biens d’équipement alors que la croissance française repose d’avantage sur la consommation intérieure et une économie plus diversifiée. Les lois Hartz représentent le combat d’un pays qui s’est battu pour retrouver son niveau de compétitivité perdu lors de la réunification. Tout en adoptant un modèle de croissance avec comme principaux clients… les pays européens.

 

 

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