Égalité et discriminations

Les services à la personne, une nouvelle forme de domesticité ?

15 mai 2019

Par une recension de l'ouvrage "Le retour des domestiques", la CFDT Cadres soulève la question de la sous-représentation syndicale des 1,2 millions de travailleurs domestiques.


par Ute Meyenberg, Secrétaire nationale de la CFDT Cadres
 

Le retour des domestiquesLes services à la personne, une nouvelle forme de domesticité ?

Le livre « Le retour des domestiques » touche à une variété de sujets liée au marché du travail : la dualisation ou polarisation de l’emploi - souvent évoquée dans son rapport à la numérisation - apparaît ici dans un autre contexte. Le débat sur la dépendance et la problématique des aidants face aux besoins croissants de services à la personne - dans un contexte de vieillissement de la population - y est traité indirectement. Les questionnements relatifs à la montée des inégalités et aux politiques publiques de protection sociale, d’accès à l’emploi et à la formation, sont évoqués à travers le sujet des emplois à domicile.


Polarisation de l’emploi et montée des inégalités 

Depuis les années 1990, on assiste à une montée des inégalités dans les pays occidentaux, accompagnée d’une polarisation de l’emploi et une destruction des emplois intermédiaires, laquelle s’est accéléré depuis la crise. Les emplois non-qualifiés dans les services prennent une part de plus en plus importante dans l’emploi total. Le livre « Le retour des domestiques » analyse plus spécifiquement l’emploi domestique qui a fortement diminué au cours du 20e siècle, mais à nouveau en pleine expansion depuis les années 1990. Si les emplois de service à la personne se différencient de la figure du serviteur du 19e siècle qui vivait en général à domicile, la structure de l’emploi – à la fois très personnalisé et dévalorisé - reprend les caractéristiques de la domesticité. 

Le secteur compte aujourd’hui 1,2 millions de personnes, soit 5,5% du total de l’emploi et se concentre essentiellement autour de deux professions : les auxiliaires de vie (pour la dépendance) et les employés de maison (les services ménagers).  On y retrouve des dimensions fortement asymétriques, accentuant de surcroît les différences de genre puisque 96% de ces emplois de service à la personne sont effectués par des femmes, souvent d’origine étrangère. En France, 70% de ces emplois sont en relation directe à l’employeur, sans passer par un organisme, ce qui a une conséquence sur la qualité de l’emploi. De faibles rémunérations, des horaires fragmentés avec des temps de trajet non payés, plusieurs employeurs : cette relation directe a des conséquences sur la protection sociale, l’accès à la formation et les perspectives d’évolution. La représentation syndicale est quasi-absente dans ce secteur.


Une stratégie coûteuse au service des plus aisés

En grande expansion depuis les années 1990, la promotion des services à la personne devient un des piliers de la stratégie de l’emploi pour abaisser le chômage d’une main d’œuvre peu qualifiée, tout en en assurant la transition d’une société industrielle à une société post-industrielle de services. Les arguments invoqués pour favoriser les services à la personne sont l’accès des femmes les plus qualifiées au marché du travail (en les libérant des tâches moins productives) et l’absorption de la demande croissante de services à la personne du fait du vieillissement de la population. Cependant, en misant sur une stimulation de la demande par des exemptions fiscales, ces subventions bénéficient surtout aux ménages les plus aisées et accroissent les inégalités, notamment en intensifiant des inégalités de genre. Les critiques portent également sur l’analyse du coût des dispositifs fiscaux : même s’il ne s’agit pas d’une dépense directe et visible par l’accroissement des dépenses, les exemptions fiscales ont un coût en créant un manque à gagner. 

L’ouvrage démontre l’accentuation des inégalités à la fois par le mode de subventionnement des plus riches et aussi par la création et perpétuation d’emplois de faible qualité. Dans un premier temps, il préconise l’emploi des personnes fournissant des services à la personne par un organisme intermédiaire. L’intermédiation donnerait une première amélioration des conditions d’emploi dans la mesure où les salariés d’une entreprise bénéficieraient des mêmes opportunités de formation que dans d’autres secteurs qui emploient des travailleurs peu qualifiés, soit peu, mais plus que chez des employeurs particuliers.


La formation pour s’en sortir – une réforme structurelle des modes de penser la dépense sociale

Pour sortir réellement de cette spirale, le rapport propose une analyse des coûts d’opportunité : en prenant l’exemple du modèle scandinave, il préconise de diriger les dépenses vers la formation afin de faire augmenter la qualification des travailleurs au lieu de subventionner les bas salaires. La réallocation vers des métiers plus qualifiés augmenterait également le nombre de travailleurs qualifiés. Cette hausse des qualifications permettrait la création de nouvelles activités qui, à leur tour, bénéficieraient d’une offre de services à la personne permettant d'augmenter le pouvoir de négociation de ces derniers. 

Cette formation continue doit être précédée par une formation initiale : les études PISA de l’OCDE montrent que la France est mal placée en termes de reproduction sociale car son système éducatif vise à sélectionner les élites plutôt que la qualification de tous. De ce fait, les inégalités sociales liées au statut des parents se creusent dès le plus jeune âge.

À cette formation initiale, il convient d’ajouter la formation continue tout le long de la vie, avec de réelles perspectives et une mise en place de conditions d’épanouissement des capacités productives des travailleurs. La France est relativement mal placée en termes de stress au travail et – l’étude CFDT « Parlons travail », l’a montré - en termes d’autonomie. Miser sur les conditions de travail permet d’améliorer l’efficacité économique autant que le bien-être au travail.

 

+ d'infos

Le retour des domestiques (Seuil, La République des idées)

Actualités Égalité et discriminations

Étude CFDT "Parlons travail"

 

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