Vie syndicale

Les cadres et la politique 1978-2008

15 sep 2008

L'analyse de Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS Cevipof-Sciences Po.


C'est le temps des universités d'été. L'occasion de se pencher sur la culture sociopolitique des salariés. On assiste à un décalage croissant entre le choix politique effectué par les cadres et leur condition de salariés. L'analyse de Luc Rouban, CNRS Cevipof–Sciences Po.

L’analyse du positionnement politique des cadres du secteur privé entre 1978 et 2008 montre une constance remarquable à soutenir de leurs suffrages les partis et les candidats de la droite modérée et cela malgré la transformation de leur univers de travail. On assiste en fait à un décalage croissant entre le choix politique effectué par les cadres et leur condition de salariés de plus en plus ordinaires. L’univers sociopolitique des cadres est cependant loin d’être homogène. Pour prendre la mesure du phénomène il faut d’une part bien séparer les cadres du privé des cadres du public (hors enseignement) et, d’autre part, bien distinguer les actifs des retraités.


Vous constatez un décalage entre le vote des cadres et leur évolution en tant que salariés. Comment expliquer alors la croissance de la syndicalisation des cadres ?

On peut lier ce paradoxe avec autre une tendance, celle de la dépolitisation du syndicalisme. Celui-ci devient un lieu d’engagement lié à l’environnement immédiat du travail, en réaction par exemple avec la gouvernance dans l’entreprise. Le syndicalisme répond en effet à une demande de réponses concrètes, économiques et sociales alors que le politique a glissé lui sur le terrain des valeurs morales, voire religieuses, en tous cas de plus en plus individualiste et émotionnel.  Car c'est bien sur ce terrain que se sont jouées les  élections de 2007 et non pas sur le terrain économique.


L’année 2007 est-elle une année charnière ou une parenthèse ? Les cadres en ont en effet accentué la spécificité : un vote à la fois anti-extrême et contestataire, une bonne participation, une clarification du débat droite-gauche…

La poussée civique de 2007 ne doit pas masquer la méfiance globale envers le système partisan et le malaise persistant entre gouvernants et gouvernés. Si l’intérêt envers la politique est fort, l’engagement, lui, demeure faible ! Le vote des cadres au premier tour de l’élection présidentielle en faveur du centre est significatif ; ce fut un vote de défiance à l’égard de la dualisation partisane établie par le régime et en même temps un attachement aux questions économiques globales soulevées par le candidat du centre, à la différence sans doute de l'approche plus compassionnelle des candidats du second tour…

Quelles sont les projections possibles ? Le paradoxe constaté peut-il se maintenir ?

Si le politique parle plus des valeurs individuelles et morales, c’est qu’il y a une attente plus générale de sens et d'équité. Regardez ce qui se passe en entreprise, le décalage entre le discours affiché et la réalité des salariés. Celui entre la crise du capitalisme financier et le discours ambiant du marché. Les cadres sont en première ligne pour encaisser l’éloignement des lieux de décisions et le déficit d’éthique. Les interrogations sociopolitiques s’invitent dans l’économique. Le discours sur la méritocratie fait naître le risque de  grande déceptions. Cela étant, les cadres  (dans le secteur privé, du moins) ne vont pas se jeter dans les bras des partis extrémistes. Mais il est clair que la gauche socialiste est incapable aujourd'hui de leur fournir des réponses.