Fonction publique

[Interco-CFDT] "Cadres sous tension à Strasbourg !"

17 jan 2019

Les 18 et 19 décembre 2018, Ia fédération Interco CFDT était associée à la CFDT Cadres à l'occasion des entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS).


Depuis L'Hebdo Interco (Syndicalisme Hebdo) :
Pages spéciales du n°3667 - Publication du 10 janvier 2019

« Cadres sous tension à Strasbourg !

Les 18 et 19 décembre 2018 se sont déroulés les entretiens territoriaux de Strasbourg (ETS) organisés par le CNFPT-INET 1 et auxquels la fédération Interco CFDT, associée à la CFDT Cadres a assuré sa traditionnelle distribution de tracts et dirigé dans le cadre du Forum des syndicats un atelier sur le thème « Expérience usager : cadre sous tension ! ».


La veille de cet atelier, dès l’ouverture des portes du palais des Congrès où se déroulait ce forum destiné aux cadres et élus territoriaux, nous 2 avons distribué un prospectus annonçant l’atelier « Expérience usager : cadre sous tension ! » aux 800 visiteurs attendus. Cette distribution a été possible grâce au renfort de nos camarades d’Interco 67 et du syndicat Interco de l’Eurométropole de Strasbourg qui, tout au long de ces deux jours, nous ont accompagnés efficacement.

À l’intérieur, après le passage obligatoire de la sécurité, renforcée après le triste attentat terroriste qui avait endeuillé la semaine précédente le marché de Noël, des stands disposés dans des halls présentaient diverses activités autour du travail des cadres. Pour l’anecdote, deux de nos camarades alsaciens ont eu des difficultés pour pénétrer dans l’enceinte, à cause des gilets orange qu’ils portaient, qui ont été perçus comme des gilets jaunes ! Il a fallu l’intervention du responsable du service sécurité pour qu’ils puissent enfin nous rejoindre au stand tenu par la CFDT.

Interco_Cadres_ETS2018

Préparé la veille au soir dès notre arrivée à Strasbourg, ce stand proposait de la documentation destinée aux cadres territoriaux, savant mélange de livrets informatifs et de cartes postales humoristiques, dont la qualité a été appréciée par les quelques curieux venus nous rendre visite. Nous remercions d’ailleurs vivement les militants du syndicat Interco du Bas-Rhin qui se sont relayés tout au long du forum pour tenir ce stand et répondre aux demandes en renseignant sur les positions de la CFDT concernant le travail des cadres.

En plus des stands, tout un programme d’animations et d’échanges sur des sujets (numérique, etc.) centrés sur des problématiques propres aux cadres territoriaux était proposé, chacun pouvant choisir ce qui l’intéressait. Parmi cette programmation, l’atelier présenté par la CFDT a attiré 130 participants, chiffre non négligeable quand on sait qu’en même temps, l’ancien ministre Jean-Louis Bianco, président de l’Observatoire de la laïcité, intervenait dans une autre salle !

Cet atelier intitulé « Expérience usager : cadre sous tension ! » était animé par Marie Menella et Frédéric Casareggio, tous deux administrateurs CFDT au centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT). Trois intervenants se sont succédé, apportant chacun un éclairage sur le thème abordé, entrecoupé de témoignages vidéo réalisés par l’équipe technique du CNFPT, François Loiseau (administrateur CFDT) posant des questions à des cadres ayant été confrontés à la mise en place de changements au sein du service ou de la structure qu’ils dirigent.


Des cadres « pris en tenaille »

M. Guy Deléon, directeur général des services de Lamballe communauté et Lamballe ville, a débuté son intervention en rappelant que la mise sous tension n’est pas propre aux cadres mais concerne l’ensemble de la société. Cette contrainte permanente est due à l’agilité nécessaire pour suivre notre environnement du travail qui évolue en se complexifiant. La raison d’être d’une collectivité territoriale est d’offrir le meilleur service public aux habitants. Mais ceux-ci sont de moins de moins citoyens et se comportent de plus en plus comme des usagers, voire des clients. De plus en plus informés via internet et les réseaux sociaux, bien que pour ces derniers nous pourrions affirmer qu’ils sont de plus en plus « déformés », la médiation étant absente de Facebook et de Twitter. En parallèle, plus mobiles, ils souhaitent avoir accès aux services quel que soit l’endroit où ils se trouvent, chez eux, mais aussi sur leur lieu de travail ou même pendant leurs vacances. Devenus plus exigeants, ils attendent une satisfaction immédiate à leur demande personnalisée. Si le service n’est pas à la hauteur de leurs attentes, impatients ils deviennent plus agressifs. À cela s’ajoutent la méfiance vis à vis des fonctionnaires et le soupçon face à la réponse obtenue.

Les usagers ne se limitent pas aux habitants mais peuvent aussi être les « usagers internes », collègues des autres services qui nous mettent la pression comme par exemple lors d’une panne informatique si le problème n’est pas résolu rapidement. Quant aux élus, citoyens eux-mêmes, ils se sont engagés à mettre en oeuvre leur programme politique mais sont tiraillés entre l’intérêt général et les intérêts exprimés de chaque administré, électeur potentiel pour leurs réélections. Issus de milieux divers, peu d’élus sont préparés au rôle d’employeur pour les agents de la collectivité. Interco_Cadres_ETS2018

Dans ce contexte les cadres territoriaux se trouvent « pris en tenaille » entre les agents, les élus et les usagers. Ils doivent être capables de s’adapter pour répondre à l’exigence professionnelle croissante. Pour faire face, il leur faut s’investir pleinement dans la dimension du cadre, c’est à dire manager l’équipe dont ils ont la responsabilité. Cela leur demande de savoir diriger et aussi d’arbitrer. Le regroupement des communes en intercommunalité, la fusion des régions et les métropoles qui s’étendent, les territoires à gérer sont de plus en plus importants. Le cadre est donc amené à manager à distance, entre des sites distants. Paradoxalement, l’usager exige une proximité et une accessibilité constante des services. La dématérialisation peut y répondre mais c’est par la proximité humaine que le cadre redonne la confiance envers le service public. Des formations apprennent aux cadres à « passer d’une culture administrative à une culture de services », et à savoir expliquer à l’équipe les orientations politiques des élus. Ils doivent aussi ne pas hésiter à s’appuyer sur le dialogue social avec les organisations syndicales, comme relais avec les agents.

Mme Esther de Climmer prit ensuite la parole pour évoquer son expérience d’élargissement des horaires d’ouverture de la médiathèque de Roubaix dont elle est la directrice. La difficulté de ce changement était que l’effectif (85 agents) devait rester constant. Au départ une enquête effectuée auprès de la population indiquait clairement le souhait d’adapter les heures d’ouverture aux disponibilités des habitants, avec une ouverture plus tôt et une fermeture plus tard. Plusieursdifficultés ont dû être résolues durant ce projet, notamment de continuer à fonctionner durant les travaux d’aménagement nécessaires pour un meilleur accueil, et surtout convaincre la nouvelle équipe municipale mise en place après les élections.

Initialement les agents concernés étaient réticents car ils craignaient de devoir travailler le dimanche. L’enquête auprès des habitants ayant montré que ce n’était pas une demande forte, cette hypothèse a très vite été écartée. Plusieurs scénarios de planning ont été élaborés, même ceux qui semblaient les plus mauvais, et un bilan effectué avec chaque agent. Six mois plus tard, une organisation du travail est retenue et présentée aux organisations syndicales lors de comité technique et CHSCT. En concertation avec les représentants du personnel, le projet a été validé, puis mis en place. Trois ans plus tard, il fonctionne encore aujourd’hui à la satisfaction des usagers et en ayant préservé des conditions de travail de qualité pour les agents. Et la fréquentation a été très largement augmentée !

La parole est ensuite donnée à la salle pour une série de questions aux intervenants. Comment répondre au paradoxe de vouloir plus de services publics avec le fait de ne pas vouloir payer ses impôts ? L’usager devient de plus en plus client, et les collectivités doivent faire plus avec moins de moyens, que faire pour éviter que les cadres ne craquent pas ? Comment sortir de ce sentiment pour les cadres, d’être pris entre le marteau et l’enclume ? Les réponses sont unanimes : le cadre doit faire preuve de pédagogie auprès des usagers, en les informant par des explications claires. Il doit avoir plus de marges de manoeuvre. Quant à l’équipe, le cadre doit concerter les organisations syndicales, par un dialogue social établi dès le début d’un projet, pour éviter le maximum de problèmes lors de l’application finale.

La dernière intervention, de Dominique Hen, directeur de l’Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail (ARACT) Grand Est, était dédiée aux outils et méthodologie pour améliorer les conditions de travail et la performance des organisations. L’ARACT, présente dans toutes les régions, intervient aussi bien auprès du secteur privé qu’en direction des trois versants de la fonction publique. Ses missions concernent l’élaboration d’outils pour l’amélioration de la qualité de vie au travail, associée à la mise en place d’une méthode participative pour aider la structure à réaliser les changements identifiés et nécessaires, afin de concrétiser son évolution dans ce domaine.


Améliorer la qualité du service en améliorant la qualité de vie au travail

Interco_Cadres_ETS2018Par expérience, les changements sont souvent induits par l’arrivée du numérique, par exemple une nouvelle application smartphone qui perturbe le marché concurrentiel ou l’intelligence artificielle (robotisation) qui offre des services sans intervention humaine. Cette intensification de la pression sur le travail diminue la marge de manoeuvre des encadrants, ainsi qu’aux agents du service public en contact avec les usagers. À cela s’additionnent une population vieillissante, avec des troubles visuels et auditifs plus fréquents, des familles monoparentales de plus en plus nombreuses et des aidants attachés à accompagner leurs proches... donc des besoins de plus en plus diversifiés et nombreux. Cette évolution du public s’ajoute aux transformations économiques avec l’ouverture de la mise en concurrence. Il est donc nécessaire d’anticiper les conséquences de ces changements incessants en utilisant la méthode de la symétrie des intentions : on améliore la qualité du service en améliorant la qualité de vie au travail (les agents sont fiers de proposer le service).

Pour les cadres, cela implique de passer moins de temps à faire du reporting d’activité et de cesser les réunions transverses, pour pallier leur absence de proximité avec les agents qui sont au contact de la population. Ils doivent mettre en place des espaces de discussion sur le travail et animer la controverse pour trouver un compromis avec leurs agents. Ce compromis, équivalent au « deal » anglo-saxon (à ne pas confondre avec la compromission), ils doivent l’évaluer pour qu’au final la décision soit prise par l’ensemble des acteurs concernés. À ce niveau, les organisations syndicales ont leur rôle à jouer. Il est utile de rappeler l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail (ANI QVT) signé en juin 2013 dans le secteur privé. Dans une controverse, chacun échange avec son expérience personnelle, différente de son voisin, cette diversité permettant de trouver l’innovation qui se nourrit de la confrontation des points de vue. Là aussi les organisations syndicales ont toute leur place.

En conclusion de son intervention, Dominique Hen énumère quelques idées importantes pour la réussite d’un projet de transition de qualité de vie au travail. Il faut créer des espaces de dialogue sur le travail avec un système d’acteurs (ex : comité de pilotage) qui se nourrit des remontées du terrain. On avance sur un projet et on effectue ensuite l’évaluation sur la manière dont il avance, car « il est aussi difficile en roulant à 300 km/h de conduire en regardant son rétroviseur (vers le passé) que de regarder dans une boule de cristal (vers l’avenir) ». Ne pas oublier que les projets d’aujourd’hui feront les conditions de travail de demain. Ainsi un projet se structure avec l’accord des organisations syndicales, dans le cadre d’un dialogue social serein. Pour remercier les participants à cet atelier, le « Guide du manager » édité par la CFDT Cadres leur était offert à la sortie de cette heure trente intense.

En plus d’être riches en informations, ces deux jours ont été agréables grâce à l’accueil amical que nous avaient réservé les camarades des syndicats Interco 67 et Eurométropole de Strasbourg. Mention spéciale pour la secrétaire d’Interco 67, Claude Amman qui, le soir après la dégustation de spécialités alsaciennes réputées (choucroute, bière de Noël...) et appréciées par les convives, nous faisait découvrir les beautés de sa ville, sous les lumières du marché de Noël. "

Franck Bourgi, Secrétaire fédéral Interco-CFDT


L'institut national des études territoriales (INET), situé à Strasbourg, est chargé de la formation des cadres et futur.e.s cadres des équipes de direction des collectivités. L'INET est un organisme du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).
2 Délégation CFDT du conseil d'administration (CA) et du conseil national d'orientation (CNO) du CNFPT : Marie Mennella, Fabrice Casareggio, Jean-Claude Lenay et Véronique Sauvage. Délégation fédérale : Catherine Blanc-Vandesteene, Monique Gresset, Gwendal Ropars et José Porceddu. Délégation du syndicat GEFORE : Elise O'Connor, Dominique Delbard et Isabelle Trimaille.

"LE CHOIX DE SERVIR

Notre vision des cadres des fonctions publiques ne se cantonne pas à une litanie sur les risques psychosociaux (RPS). Burn out, bore out, brown out sont effectivement des pathologies qui pénètrent les administrations. Il y a un an, la Fédération des intervenants en RPS considérait d’ailleurs que « la situation est plus inquiétante dans le secteur public que dans le privé » et déplorait le déni de certains employeurs sur la question. Et c’est vrai que, trop souvent, les procédures prennent le pas sur la mission, les réorganisations successives font perdre le sens du travail, les coupes budgétaires et les réductions d’effectifs ne permettent plus d’assurer correctement le service public… Pour autant, les cadres publics s’efforcent de tenir le choc. Et des dynamiques sont à l’oeuvre. Ainsi, un cadre d’une grande collectivité territoriale expliquait récemment que si l’on voulait bloquer son administration, ce n’est pas la grève qu’il conviendrait de faire mais qu’au contraire il suffirait d’appliquer à la lettre toutes les procédures et règlements, « sous couvert », et que la machine se bloquerait rapidement.
Pour faire avancer les projets, il faut contourner les règles, se passer de la validation formelle de la hiérarchie, donc prendre des risques… Tel ce chargé de mission qui, bien que la chose ait été expressément interdite, travaillait ses dossiers avec son homologue en amont de la fusion de leurs deux administrations. C’est pour cela que dans les demandes récurrentes exprimées par nos adhérents cadres publics, celle concernant les marges de manoeuvre est la plus souvent exprimée. Aujourd’hui, il convient de redire des agents publics non pas qu’ils « travaillent pour » mais qu’ils « servent » l’intérêt général, un établissement public, une collectivité territoriale ou l’État. Service ou servitude ? La frontière peut parfois être ténue, surtout si l’on n’a pas la garantie d’un emploi stable. C’est pour cela, notamment, que la tentative d’un recours accru aux agents contractuels pour occuper des postes dans la haute fonction publique nous semble risquée si elle n’est pas fortement encadrée. Le statut est protecteur vis-à-vis de tout détenteur de la puissance publique, pour les agents certes, mais aussi pour les usagers ! C’est pourquoi il est temps de reconnaître le sens du travail public pour celles et ceux qui ont fait le choix de servir, et pour cela d’épauler les managers, les experts, les ingénieurs de toute la fonction publique."

 

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Crédit photos : CFDT Interco