Responsabilité et expression

[Colloque] Le travail et l’engagement des cadres à l’épreuve de la crise

09 déc 2009

Colloque du 2 décembre 2009.


En partant du vécu de douze équipes syndicales d’entreprise, notamment celles d’Accenture, d’Alcatel-Lucent, de France-Télécom, de Hewlett-Packard, de Renault, et avec le concours de chercheurs et de praticiens, l’Observatoire a tenté de dégager des constats, des analyses et des pistes d’action…

L’économiste et intervenant dans les organisations Francis Ginsbourger rappelle que la crise est un moment où éclatent au grand jour des transformations silencieuses déjà à l’œuvre. C’est la sortie d’une période de gestation, alors que la politique du chiffre domine dans les entreprises (et, de plus en plus, dans les services publics). Pris entre l’ « a-gestion »  des métiers et la « sur-gestion » des indicateurs et des objectifs quantifiés, ayant des responsabilités mais pas toujours les moyens de les assumer, les cadres forment le groupe professionnel le plus concerné par la critique de la gestion. Ainsi n’est ce pas la finalité sociétale des entreprises et de leur gestion qui sont questionnées ?

Les conditions du travail très malmenées

De Hewlett-Packard à France Télécom, les grandes entreprises sont essentiellement orientées vers la baisse des coûts, notamment des coûts de personnel. Le cas de l’opérateur français, ancienne administration devenue groupe de services internationalisé, illustre l’adoption de modes de management anglo-saxons. La baisse des effectifs a même été accompagnée par une véritable mise en inconfort : mobilités forcées, déploiement des open space, relations professionnelles misant sur le tout individuel, réorganisations permanentes, plans de départs à répétition, etc. Des méthodes que ne renierait pas HP, « qui refuse le principe même de négociation » comme le note un membre de l’équipe syndicale, ajoutant que « la seule chose que redoutent les dirigeants est de perdre en justice ». Dans les deux cas, il existe un véritable fossé entre le petit cercle du pouvoir et la masse des salariés, y compris les cadres de haut niveau. Du côté de Renault, la délocalisation de la production est suivie de la délocalisation de la recherche-développement. « Le plan de départs volontaires a fonctionné dans certains cas mieux que ne le souhaitait la direction, le chômage partiel totalement indemnisé est le lot de tous, les prestataires sur site ont quasiment disparu, des jeunes cadres démissionnent » relève-t-on… Même son de cloche chez Alcatel-Lucent où, depuis l’explosion de la bulle Internet (2000), se succèdent les plans sociaux. « La flexibilité est le maître mot pour ceux qui restent, notés aussi sur leur comportement ». Un individualisme prégnant est érigé en modèle chez Accenture où la crise bloque les possibilités de promotion, ce qui fait hésiter bon nombre de cadres à continuer à travailler quinze heures par jour.

 

Engagement ou désengagement des cadres ?

Le colloque a tenté d’éclairer le rapport au travail dans ses différentes dimensions : rapport à l’organisation (qui mêle rapport à la stratégie des dirigeants et aspiration à la reconnaissance), rapport aux pairs et rapport à l’activité c’est-à-dire au métier et aux compétences. Pour la sociologue Sophie Pochic ces trois dimensions ne sont pas toujours en cohérence pour les cadres aujourd'hui dans les grandes entreprises et l’ensemble devient donc d’une grande fragilité. De son côté, le rapport à l’organisation syndicale semble alors évoluer, les cadres prenant conscience de l’utilité des organisations syndicales, quand les actions collectives apportent quelque chose de palpable pour eux-mêmes ; ils sollicitent une écoute, des conseils individuels, des informations sur l’avenir de l’entreprise. Il n’est pas facile de faire passer les salariés d’une posture consumériste à une attitude proactive…

 

Quelles perspectives ?

Les pistes d’action possibles se retrouvent autour de grands thèmes traditionnels tels que la qualité du travail, la question du management, la gouvernance des entreprises et la gestion des ressources humaines. Il faut mettre le travail au centre des préoccupations du management (n’est-il pas prouvé que gagner en qualité de vie au travail améliore les performances ?...) et s’intéresser à la manière-même dont on enseigne le management, réfléchir aux usages des techniques de management, promouvoir des formations au management qui prennent en compte la performance collective… L’accentuation de la fracture entre l’équipe dirigeante et la base (cadres inclus) a des conséquences en termes de productivité. Elle est due au déficit de démocratie dans la gouvernance d’entreprise et pour y remédier, il faut une meilleure intégration des salariés dans les processus de décision. La fonction RH doit organiser la gestion et assurer la mise en valeur du patrimoine humain. La crise est ainsi une opportunité pour les DRH de peser afin que l’on intègre l’individu dans la réflexion stratégique de l’entreprise tout en redonnant de la place au collectif. 

 

L’engagement CFDT

La CFDT veut agir en proximité avec les cadres, affirme Jean-Paul Bouchet, Secrétaire Général de la CFDT Cadres. Or les constats ne sont pas réjouissants : mal-être des cadres, souvent provoqué par la mise en inconfort programmée, distance entre les directions et les salariés, cooptation dans la gouvernance, rémunérations choquantes de quelques uns, primat des résultats financiers, travail considéré seulement comme un coût, pilotage par les indicateurs, etc. Attachée à la pluralité des acteurs et des points de vue, la CFDT propose la confrontation organisée des logiques des différentes parties prenantes, dont le dialogue social est l’outil. Les cadres sont attachés à la performance économique, sociale et environnementale, ils disent leur exigence d’un management responsable, ils veulent reprendre du pouvoir sur l’organisation du travail et retrouver un espace de créativité.