Stress et conditions de travail

La sécurisation des parcours résidentiels, un enjeu clé pour le management

21 juin 2022

Dans une série de trois publications proposées par l'APAGL-AL (association pour l'accès aux garanties locatives), mesurons l'impact de la variable logement dans le travail du manager de 2022.


Des enjeux croissants de sécurisation des parcours professionnels…

par Jean-Jacques Perot, Président de l’APAGL-AL (CFDT IDF) et Sophie Gaudeul, Directrice Produits Etudes à l’APAGL-AL

En France, la part des embauches réalisées en CDD ou en intérim est passée de 30 à près de 90% en trente ans1. Au sein des flux d’embauches en CDD et CDI, la part des CDD a nettement progressé, passant de 76 % en 1993 à 87 % en 20172.  Le taux de rotation de la main-d’œuvre a fortement augmenté tandis que la durée des CDD s’est nettement raccourcie : 40 % des salariés ont un contrat de moins d’un mois, au cours d’un trimestre donné, en 2017. Par ailleurs, on assiste depuis 2009 à une progression importante du travail indépendant liée à l’essor du nombre d’auto-entrepreneurs (+ 5,1 % en 2018 ; +11,4 % en 2019). A côté de cette flexibilité du travail, les mobilités professionnelles géographiques restent quant à elles limitées. Ce sont surtout des mobilités de proximité qui sont deux fois plus fréquentes pour les salariés du secteur privé (8,7 % contre 4,2 % dans les fonctions publiques)3.

Bien que la crise sanitaire ait largement développé le télétravail [..], la relation ou distance entre le lieu de résidence des actifs et leur lieu de travail reste très structurante sur les choix résidentiels des ménages"

Au sein du secteur privé, ces mobilités sont plutôt moins fréquentes pour les cadres que pour les autres catégories socioprofessionnelles, même si la « grande mobilité » concerne plutôt des cadres4.  Au final, les plus mobiles sont surtout des jeunes actifs au début de leur vie professionnelle. Ces mobilités apparaissent aussi très liées aux transitions familiales (mise en couple, enfants, séparations, décès) qui impactent les arbitrages des ménages au cours de leur trajectoire professionnelle. Selon la DARES, si l’occupation d’un emploi est indépendante de la mobilité résidentielle pour les titulaires de la fonction publique et pour la plupart des personnes qui partent à la retraite, le lien entre la mobilité résidentielle et l’emploi est en revanche nettement positif pour les salariés du privé, pour lesquels le fait de déménager peut déterminer l’accès ou le maintien dans l’emploi5.

On le voit, flexibilité et dualisation accrue du travail suscitent des enjeux croissants de sécurisation des parcours professionnels, mais l’accès ou le maintien dans l’emploi se heurtent bien souvent à des difficultés d’accès au logement qui sont de réels freins aux mobilités largement documentés6. La sécurisation des parcours résidentiels, en tant que levier de facilitation de l’accès ou du maintien dans l’emploi, tend à devenir un enjeu sociétal de premier plan. 

 

... qui s’accompagnent d’enjeux de sécurisation des parcours résidentiels au sein du parc locatif privé

Avec 2 millions d’entrées par an et 76,5 millions de logements, le parc locatif privé porte des enjeux de sécurisation des parcours résidentiels et des mobilités importants avec des difficultés qui se cumulent, notamment pour les plus jeunes. C’est dans ce parc que les parcours résidentiels commencent et il constitue le principal point d’entrée dans le parcours résidentiel en raison de la durée allongée d’obtention d’un logement social7.

Une baisse de la mobilité résidentielle s’observe depuis le début des années 2000. Elle s’explique en grande partie du fait de l’augmentation de la part des propriétaires (60%) qui sont des ménages moins mobiles. Cette faiblesse de la mobilité s’accompagne d’une relative faiblesse des changements de statuts. Selon l’INSEE, une fois sur deux les ménages qui connaissent une mobilité conservent le même statut d’occupation8. Ainsi, la moitié des locataires du parc privé qui ont été mobiles sont ainsi restés locataires dans le parc privé. Par ailleurs, la mobilité résidentielle liée aux transitions professionnelles s’oriente surtout vers le secteur locatif privé, quel que soit le statut de départ, et dans une moindre mesure vers le logement social dont l’offre est structurellement déficitaire9. Les souhaits de mobilité résidentielle sont globalement en baisse après la crise sanitaire, particulièrement chez les jeunes (moins 8 points) et les professions intermédiaires qui n’envisagent pas de changer de logement (moins 11 points)10.

La grande mobilité domicile-travail en Métropole qui ne concerne que cinq cent mille actifs occupés reste plutôt l’affaire de certains cadres (hommes, diplômés du supérieur), alors qu’elle reste faible parmi les employés, les femmes, les ouvriers, les moins diplômés ou parmi les personnes travaillant à temps partiel11. Bien que la crise sanitaire ait largement développé le télétravail dans de nombreux secteurs d’activité, la relation ou distance entre le lieu de résidence des actifs et leur lieu de travail reste très structurante sur les choix résidentiels des ménages. Or, de nombreuses contraintes pèsent sur ces arbitrages et le déménagement n’est pas toujours considéré comme une option pour des personnes aux statuts d’emploi et aux revenus différenciés qui se trouvent confrontés aux critères de sélectivité exigeants des bailleurs12. Au sein du parc locatif privé, le parcours des candidats à la location peut être perçu pour certains comme un véritable « parcours du combattant » au regard de nombreuses formalités administratives avec une nécessité de répondre aux exigences de bailleurs dont les pratiques de sélectivité apparaissent aussi hétérogènes que stéréotypées. Dans la pratique, à l’inflation des loyers s’ajoute souvent le besoin de justifier d’un revenu trois fois supérieur au loyer et certains locataires se trouvent dans l’impossibilité de présenter un garant physique.

 

Des enjeux croissants de soutenabilité sociale dans le contexte de la transition énergétique/climatique

La crise sanitaire est venue accentuer les précarités : un Français sur trois a subi une perte de revenus depuis le confinement et 16% des Français déclarent  avoir subi une perte importante de revenus13. La problématique des dépenses contraintes (et du reste à vivre) devient plus prégnante pour des ménages confrontés d’une part, à l’augmentation tendancielle du prix des matières premières et de l’alimentation du fait de la pression de la demande mondiale et d’autre part, au renchérissement du coût de la transition énergétique (hausse du prix de l’électricité et l’énergie, renchérissement des coûts de construction et de rénovation du parc de logements du fait de normes énergétiques de plus en plus exigeantes).

L’augmentation du taux d’effort pour le logement depuis 2008 est particulièrement marquée pour les locataires du parc privé est indicative de difficultés accrues dans l’accès au logement14. Sur la période 2001-2013, le taux d’effort a augmenté pour toutes les catégories de niveau de vie et pour tous les statuts d’occupation du logement, mais dans le parc locatif privé, le taux d’effort brut des ménages à bas revenus15 s’élève en 2013 jusqu’à 60% ; il est de 36% pour les ménages modestes et 25% pour les plus aisés16. Le taux d’effort net (après aides) des ménages à bas revenus reste encore supérieur à celui des autres ménages. Pour les cadres et professions intellectuelles supérieures, les taux d’effort varient aussi selon leur niveau de revenu. Lorsqu’ils se situent parmi les ménages les plus aisés, les cadres ont en moyenne des revenus plus élevés que les employés et donc un taux d’effort plus faible.

Composition du parc de logement de 1990 à 2019 (tableau)

Mais tous les cadres ne sont pas situés en haut des grilles salariales et certains cadres qui se retrouvent parmi les ménages à bas revenus ont un taux d’effort élevé, en particulier en zones tendues, où certains taux d’effort des cadres peuvent voisiner avec les 40% (ex : à Paris). Ce contexte d’évolution à la hausse du taux d’effort pour le logement a d’ailleurs suscité la vigilance du Haut Conseil de Stabilité Financière qui a invité le secteur bancaire à limiter le taux d’effort à 35% face à une dynamique excessive de l’endettement des ménages pour l’immobilier17.  La question de l’accès au logement souvent décrite comme déterminante pour l’amélioration du marché du travail, apparaît donc aussi centrale car située à la croisée des enjeux macroéconomiques, sociaux et environnementaux contemporains.


  1.  "Emploi, chômage et revenus du travail", INSEE, Références. 
  2. « CDD, CDI : comment évoluent les embauches et les ruptures depuis 25 ans ? », Dares Analyses, N° 026, Juin 2018.
  3. « Quels liens entre mobilité résidentielle et situation professionnelle ? », Dares Analyses, N° 015, Avril 2019.
  4. 6,8 % des cadres du secteur privé ont changé de zone d’emploi entre 2014 et 2015, contre 7,7% des salariés toutes catégories confondues Mobilités géographiques, emplois et inégalités coordonné par Carole Brunet et Géraldine Rieucau, Travail et Emploi, N° 160, 2019.
  5. Ibid., Dares Analyses, N° 015, Avril 2019.
  6. Julie Couronnée, Léa Lima, Frédéric Rey, Barbara Rist, Nicolas Roux, « Trajectoires et insertion des personnes très éloignées de l’emploi (TIPEE) », Lise-CNRS, CNAM, CEET, Rapport pour la CFDT, Agence d’Objectifs de l’IRES, 2017.
  7. « L’accès à la propriété en recul... », Insee Références, édition 2017 – Dossier. Les bailleurs du parc privé représentent 9% des bailleurs et ceux du parc social représentent 2% des bailleurs. 
  8. Ibid,2017. 
  9. « La mobilité résidentielle », Insee Références, édition 2017 – Dossier.
  10. Observatoire Action Logement de la mobilité résidentielle, Rapport réalisé par le Crédoc, en Juillet 2020.
  11. Ibid., DARES, 2019, p.10.
  12. « La Grande mobilité géographique domicile-travail : l’inscription spatiale des inégalités entre travailleurs », Thomas Sigaud, Dares/ Travail et emploi, 2019/4 n°160 /pages 75 à 102.
  13. Baromètre Ipsos / SPF 2020 : la précarité depuis la Covid-19
  14. Cf.  Insee Analyses, N°39, 18 juill. 2018. La notion de taux d’effort est entendue comme la part de l’effort financier pour le logement dans le revenu global du ménage.
  15. Les ménages à bas revenus sont définis comme les 20 % des ménages ayant les revenus par unité de consommation les plus faibles ; les ménages modestes : les 20 % suivant ; et les ménages plus aisés : les 60 % des ménages dont les revenus sont les plus élevés.
  16. « Conditions et dépenses de logement selon le niveau de vie des ménages », Les dossiers de la DREES, N°32, juin 2019, p.66. Parmi les ménages à bas revenus, le taux d'effort brut agrégé se situait à 21% pour les propriétaires, mais à 58% pour les accédants à la propriété, à 60% pour les locataires du parc privé contre 45% pour ceux du parc social.
  17. Recommandation N° R-HCSF-2021-1 relative à l’octroi de crédits immobiliers résidentiels en France 27 Janv. 2021 dans laquelle une flexibilité est néanmoins admise pour 20% des prêts octroyés. Sur la dernière décade, l’endettement lié à l’immobilier progresse continûment.

 

 

+ d'infos

37 millions de logements en France au 1ᵉʳ janvier 2020 (insee.fr)

APAGL - Groupe Action Logement (apagl.fr)

 

Illustration : Shutterstock /dodotone