Stress et conditions de travail

La mindfulness, un outil au service du bien-être en entreprise

24 sep 2014

Par Thomas-Emmanuel Gérard, coach


La mindfulness se traduit en français par « pleine conscience ». C’est l’art d’être présent à soi-même, dans l’ici et le maintenant. Celui  d’observer ses sensations corporelles, ses émotions, ses pensées en étant à la fois pleinement conscient de ce qui se présente, et en même temps en adoptant un regard distancié, sans jugement. L’art de la « pleine conscience » entre dans les entreprises. Dans un contexte économique difficile, la pratique méditative contribue à mettre de l’harmonie au sein du collectif de travail et de la sérénité dans l’action. Il s’agit concrètement d’un entrainement basé sur des exercices de respiration et des temps de méditation, qui aident à se connecter au corps, en ayant la pleine conscience de ce qui se passe dans l’instant. Par exemple, j’inspire et je sais que j’inspire ; j’expire et je sais que j’expire ; je marche et j’ai conscience de mes appuis au sol, je mange un fruit et j’ai conscience de sa texture, son goût, son odeur. Je ne suis pas en pilote automatique, je vis chaque seconde, en direct. Ces exercices m’aident aussi à identifier ce qui se passe en moi, à observer les émotions qui émergent : par exemple, je sens la colère en moi et j’ai conscience que je suis en colère ; je suis triste, j’ai peur, je suis joyeux … et j’ai conscience de toutes ces émotions en moi. La pratique de la mindfulness m’invite à adopter une posture d’accueil de ce qui se présente, avec bienveillance et non-jugement.

Quels bénéfices les salariés peuvent-ils y trouver ? Dans le contexte économique difficile que traversent les entreprises, les salariés sont fortement impactés. Face aux situations de tension : discussion houleuse avec un collègue, critiques lors d’une réunion d’équipe, mail incendiaire, les exercices de respiration et méditation vont aider à revenir à un émotionnel neutre, ou –au moins– à ne pas se laisser entrainer dans une réaction de l’instant. Ils contribuent à poser un autre regard sur la situation, en laissant à distance les interprétations et projections animées d’émotionnel. Cela ne signifie pas ‘ne rien faire’. Il est parfois légitime de poser des limites, de partager un ressenti. Mais l’entraînement à la mindfulness offrira un espace pour le lâcher-prise, pour apporter une réponse –et non pas une réaction– face à une situation de tension. Par exemple : être mesuré dans la réponse que l’on apporte, mettre ses ruminations sur pause, envisager les épisodes habituellement générateurs de stress sous un angle différent, ouvrir un espace de calme intérieur au cœur de la tempête … Pour moi, la mindfulness c’est revenir à soi pour mieux aller vers l’autre. C’est trouver un ancrage et un alignement qui vont permettre de s’engager avec confiance et sécurité dans l’interaction avec les autres, même dans un contexte difficile.

De quelle manière les entreprises s’intéressent-elle à la mindfulness ? Aujourd’hui, la mindfulness a largement dépassé le cadre de la pratique méditative et du développement personnel. On la retrouve dans certaines organisations sur les volets : prévention des risques psycho-sociaux, gestion du stress, bien-être au travail. De fait, les entreprises qui l’ont intégré dans leurs outils de gestion du capital humain sont clairement pionnières (Google, Sodexo, Chanel, LVMH), mais la plupart communiquent peu sur le sujet.  La grande majorité des entreprises est encore réticente à proposer à leurs salariés une pratique méditative, alors même que les salariés semblent prêts à l’expérimenter, pour peu que ce soit sur une base volontaire. C’est, à mon sens, le reflet d’une modification en profondeur du lien au travail, que les salariés appellent de leurs vœux : créer les conditions du bien-être au sein de l’entreprise est plus porteur auprès des salariés que proposer une gestion des effets du stress. Mon analyse : certaines entreprises hésitent à quitter la voie curative, alors que d’autres s’engagent déjà sur une voie préventive.

Sur le volet bien-être, Sodexo est une entreprise pionnière. J’y coanime un programme d’initiation à la mindfulness. La pratique méditative que nous proposons est orientée sur les enjeux du cadre professionnel : se ressourcer au cœur de l’action, allier performance et sérénité, trouver une réponse créative et apaisée face à une situation difficile, être à l’écoute de soi-même pour des décisions plus justes – et oser, contribuer à un climat harmonieux au sein de l’équipe, ancrer sa performance dans la confiance. L’impact du programme est mesuré scientifiquement par l’EM Grenoble, à partir d’indicateurs co-construits. L’expérience s’est révélée positive au point que deux nouveaux cycles, dont un à destination des seniors managers, sont programmés.  D’autres entreprises ont pris le parti d’intégrer des ateliers de mindfulness dans leurs programmes Talents. Ces espaces d’échanges et de formation auprès de managers appelés à prendre des responsabilités au sein du groupe, sont propices à l’expérimentation de ces ateliers d’un autre genre car l’expérimentation s’inscrit dans un espace ‘sécurisé’, où le savoir-être est encouragé.

La mindfulness peut-elle être détournée par les entreprises pour accroître la capacité des salariés à mieux supporter la pression ? La mindfulness n’est pas à l’abri de velléités d’instrumentalisation, même si je ne l’ai pas moi-même observé dans les expérimentations que j’ai menées, qui étaient expressément orientées vers le bien-être des salariés. En tout état de cause, je ne suis pas convaincu que la motivation réelle du commanditaire, positive ou négative, soit ici le point d’entrée. Je crois que les bénéfices professionnels et personnels des participants au programme, mais aussi par extension, les bénéfices de ceux qui sont dans leur entourage professionnel immédiat, sont le point d’attention. Il est aujourd’hui admis que la performance d’une entreprise est intimement liée au niveau de bien-être des salariés. Avec l’introduction de la mindfulness en entreprise, c’est tout le collectif de travail qui en bénéfice. Et bien sûr, in fine, l’entreprise. A lire, l’ouvrage (collectif !) « L’intelligence collective : Co-créons ensemble le monde de demain », Editions Yves Michel, oct. 2014.