Vie syndicale

2020, une année pour exiger des entreprises et administrations de progresser vers un management humanisant !

08 jan 2020

Vendredi 20 décembre 2019, la justice a reconnu le harcèlement moral ayant sévi à France Télécom sur la période 2007-2008.


par Laurent Mahieu, Secrétaire général CFDT Cadres

L’année 2019 s’est notamment terminée par le verdict dans l’affaire France Telecom survenue en 2007-2008 : Le tribunal correctionnel de Paris a considéré ses principaux dirigeants coupables de « harcèlement moral institutionnalisé dans une stratégie d’entreprise ».

Le jugement acte qu’il s’est agi « d’une décision partagée, sur une mise en œuvre coordonnée […] des agissements harcelants dont l’objet était la dégradation des conditions de travail de tous les agents de France Télécom pour assurer et hâter, accélérer, la réduction recherchée des effectifs de l’entreprise ».

Pour la fédération F3C-CFDT : « Le verdict est clair : si des méthodes managériales sont mises en œuvre au mépris de la considération des personnes qui travaillent, elles relèvent désormais de la justice pénale ».

Ces événements très graves ont-ils été suivis d’effets, notamment quant aux pratiques managériales déshumanisantes ?

 

Rapport Lachmann – Larose - Pénicaud

Plusieurs rapports ont à l’époque été commandés dont le fameux rapport Lachmann – Larose – Pénicaud lequel préconise (en février 2010) à propos des managers : « Préparer et former les managers au rôle de manager : Affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes. »

Cette préconisation était assortie d’une exigence à 3 ans d’intégrer systématiquement la dimension humaine dans la formation initiale des futurs managers : « d’ici trois ans, les diplômes de titre I ou II délivrés par les écoles de commerce et d’ingénieurs devraient tous inclure obligatoirement un module de formation à la responsabilité sociale et au management d’équipes. »

 

Accord national interprofessionnel Qualité de vie au travail 

3 ans après (juin 2013), les partenaires sociaux se mettaient d’accord à titre expérimental autour des thèmes QVT-EP. Les signataires de l’accord d’une part « demandent que les programmes de formation des futurs managers, des dirigeants et des managers en poste intègrent davantage cette dimension. » (ndlr : le management des équipes). (art. 21)

D’autre part (art. 16), ils indiquaient que :

« A cet effet, il est nécessaire que l’employeur précise le rôle du management et les moyens nécessaires mis en œuvre pour qu’il puisse exercer ce rôle.

Une meilleure sensibilisation et une formation adéquate des managers en matière de gestion d’équipe et de comportements managériaux sont de nature à favoriser la qualité de vie au travail. L’objectif est d’aider ces managers à mieux appréhender les difficultés en prenant en compte les conditions réelles d’exercice du travail, à favoriser les échanges sur le travail, à savoir mieux identifier les conditions d’une bonne coopération dans leurs équipes.

Des outils adaptés seront mis à leur disposition pour les accompagner lorsqu’ils sont en difficulté ou face à des salariés en difficulté. Des outils destinés à l’atteinte de cet objectif seront élaborés par les branches professionnelles, en fonction des spécificités des entreprises de leur secteur. »

 

Dix ans après le rapport Pénicaud ? Et maintenant on va où ?

Sous l’effet du jugement de l’affaire France Telecom, le début de l’année 2020 sera-t-il propice pour impulser enfin des dynamiques effectives de transformation des pratiques de management des hommes et des organisations ? 

Les responsables des organisations patronales ont une grosse responsabilité en cela.

D’une part la négociation Encadrement a mis à l’agenda deux réunions de négociation en janvier et février. Il sera question des enjeux managériaux : on ne pourra faire l’impasse sur l’humanisation des relations de travail.

Revue Cadres n°483 - Travail et vulnérabilitésD’autre part, des discussions doivent s’ouvrir au niveau interprofessionnel concernant la réforme de la santé au travail. Pour la CFDT, la qualité de vie au travail sera au cœur de la réforme et, pour cela, le corpus managérial doit sortir des approches exclusives de contrôle, de reporting et de gestion par indicateur pour aller vers une vision transversale et éclairée du management faisant le lien entre le travail et ses conditions de réalisations, la participation des travailleurs, les impératifs de production et la performance globale de l’entreprise. Les formations initiales et continue des managers doivent intégrer ces dimensions.

Sans attendre, la lecture de la nouvelle Revue Cadres « Travail et vulnérabilités » (décembre 2019) apportera à tous les managers soucieux de l’humain au travail des clés de compréhension pour agir au quotidien avec chacun, avec chaque un, par un management responsable et humanisant.

 

Rapport Lachmann – Larose – Pénicaud remis au premier ministre (Février 2010) : extrait

6. Préparer et former les managers au rôle de manager : affirmer et concrétiser la responsabilité du manager vis-à-vis des équipes et des hommes.

Il ne peut y avoir de santé au travail sans vrais managers. Il n’y a pas de substitut à un manager. Or les salariés promus managers ne sont souvent ni préparés ni formés à leurs responsabilités de leader d’équipe. Le manque d’expérience de la vie sociale au moment de l’entrée sur le marché du travail rend par ailleurs plus difficile l’apprentissage du rôle et des savoir-faire de manager dans une équipe de travail – notamment être capable de négocier, d’écouter et de dialoguer, de gérer les rapports de travail, d’utiliser au mieux les talents au sein de l’équipe et de marquer de la reconnaissance.

La formation au management proposée dans les écoles de commerce et d’ingénieurs, ainsi que dans les cursus universitaires, n’est pas une formation à la conduite des équipes. D’après une étude réalisée par la commission des titres d’ingénieur, 65% des ingénieurs interrogés estiment que leur formation initiale ne les a pas préparés à « s’intégrer dans une organisation, à l’animer et à la faire évoluer ». Seuls 15% s’estiment sensibilisés par leurs études « aux relations sociales ».

La première exigence est donc d’intégrer systématiquement la dimension humaine dans la formation initiale des futurs managers : d’ici trois ans, les diplômes de titre I ou II délivrés par les écoles de commerce et d’ingénieurs devraient tous inclure obligatoirement un module de formation à la responsabilité sociale et au management d’équipes.

Les entreprises devraient :

  • - investir beaucoup plus fortement dans des programmes de formation de leurs managers à la conduite des hommes et des équipes, et aux comportements managériaux. Les process et les outils de management ne suffisent pas ;
  • - accompagner systématiquement la promotion à un poste de manager d’une formation conséquente aux responsabilités sociales et humaines du manager.

Le passage par une institution représentative du personnel devrait pouvoir être valorisé dans les promotions à des postes de managers, afin de mieux utiliser les salariés disposant d’une bonne expérience des relations sociales et du rôle de leader au sein de l’entreprise."

 

+ d'infos

Procès France Télécom : un jugement exemplaire (cfdt.fr)

Communiqué de presse F3C (20 décembre 2019)

Revue Cadres n°483 "Travail et vulnérabilités"

 

Illustration : Wikipedia