Emploi et compétences

Marché de l’emploi, le risque de la flexibilité

19 jan 2012

Comment faire face à l’individualisation de la relation d’emploi ? Pourquoi transférer les risques de l’entreprise vers le salarié ?


Pour Bernard Gomel, chargé de recherche au CNRS, le marché de l’emploi est confronté à un risque d’individualisation de la relation d’emploi. Même si les tentatives directes pour flexibiliser le CDI se sont soldées par des échecs (CNE, CPE), les nouvelles modalités de rupture de la relation de travail tendent à supprimer, à alléger ou à contourner la protection des travailleurs et plus généralement à transférer les risques de l’employeur vers le professionnel concerné.

Les pouvoirs publics français mettent en oeuvre depuis plusieurs années des réformes qui visent à alléger l’encadrement du licenciement des salariés embauchés en contrat à durée indéterminée (CDI), considéré depuis les années 1990 comme participant des « rigidités du marché du travail » (OCDE) responsables de freiner les créations d’emploi et de ralentir l’adaptation économique des entreprises, comme l’expliquent tout un courant d’économistes. Leurs propositions vont être souvent reprises ou discutées : créer un contrat unique qui se substituerait à la coexistence du CDI et du CDD responsable d’un « système de protection dual » ou bien élargir les possibilités de recours aux CDD ou au travail intérimaire ; assouplir les conditions de licenciement pour motif économique en simplifiant les procédures ou bien en échangeant une taxation sur les licenciements contre une éviction du juge ; allonger la période d’essai …

Ces nouveautés conduisent à un transfert de risques de l’entreprise au salarié et aux assurances sociales, en organisant l’intermittence du travail et du chômage selon les besoins de l’employeur, qui échappe également à la responsabilité du reclassement du salarié. Lorsqu’un accompagnement est mis en place pour que le salarié retrouve plus rapidement un emploi, il est pris en charge par le service public de l’emploi, directement ou à travers des prestataires publics et privés. Ainsi, l’objectif de passer de la protection de l’emploi à celle de la personne au travail, se met progressivement en place, comme s’il fallait choisir sous couvert de « sécurité sociale professionnelle ». Les mécanismes de protection de l’emploi sont vus comme autant d’obstacles à l’ajustement permanent des effectifs nécessaire au bon fonctionnement du processus naturel de « destruction créatrice » d’emplois, vital pour l’économie.

Parallèlement, les nouveaux dispositifs d’accompagnement des licenciements – et singulièrement des licenciements collectifs suite à des fermetures d’entreprises – ne permettent manifestement pas de retrouver un emploi pour remplacer celui qu’on a laissé disparaître au nom de la destruction créatrice des emplois. On a bien vu la destruction d’emploi – et la crise économique commencée fin 2008 s’en est largement chargée – mais faut-il croire qu’il s’agissait d’emplois dépassés, de mauvaise qualité ou encore inadaptés à « l’économie de la connaissance » ? La Dares estime au contraire que le développement indéniable d’emplois qualifiés s’accompagne de la création de nouveaux emplois peu qualifiés, souvent à temps partiel et précaires, et particulièrement dans les services à domicile.

Les différentes évolutions participent à un processus général d’individualisation de la relation d’emploi, qui rend progressivement antagonistes la protection de l’emploi et la protection de la personne au travail, deux combats qui étaient jusque-là intimement liés. En effet, même lorsque ces évolutions satisfont aux intérêts du salarié confronté à la perte de son emploi (et c’est le cas de la rupture conventionnelle) puis à l’impossibilité pratique d’en retrouver un (contrat de portage et auto-entreprenariat), elles n’en participent pas moins au désarmement général des acteurs de l’emploi. Quels leviers reste-t-il à la disposition des acteurs de l’emploi, dans le cadre notamment de l’objectif européen de « plein emploi dans la pleine activité » ?

Il ne reste plus au salarié qu’à faire payer le plus cher possible la destruction de son emploi, en contrepartie d’années de bas salaires et du temps qu’il lui faudra pour retrouver un emploi qui lui assure les mêmes revenus ou pour atteindre l’âge de la retraite.
 

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