Santé sociaux

Managers, experts, cadres, chefs de service : du préventeur au lanceur d’alerte ?

24 aoû 2016

Pour prendre en compte la position des cadres dans l’exercice de leur fonction, favoriser la démocratie au sein des établissements et un travail décent pour ces acteurs, il est nécessaire que le cadre puisse, au titre de sa responsabilité professionnelle, disposer d’un droit d’alerte assorti d’une protection.

« Le Savoir et la droite Intention : L’un et l’autre sont la source des bons succès. Un bon entendement avec une mauvaise volonté, c’est un mariage monstrueux. La mauvaise intention est le poison de la Vie humaine, et, quand elle est secondée du savoir, elle en fait plus de mal. C’est une malheureuse habileté que celle qui s’emploie à faire mal. »
Baltasar Gracian, L’Homme de cour, 1647
 

La CFDT milite de longue date en faveur des lanceurs d’alerte

Si la CFDT milite depuis 2002 pour une protection des lanceurs d’alerte, cette problématique a gagné un véritable intérêt dans de nombreuses organisations internationales, au niveau de l’Europe, mais aussi d’autres continents. Depuis 2004, la CFDT a conclu des partenariats avec différentes structures (ONG, autres syndicats) pour travailler à cette prise de conscience, qui aboutit en 2008 à un texte commun signé par la Fédération internationale des cadres UNI P&M  garantissant leur protection au niveau mondial.

En 2010, la CFDT Cadres a consacré une revue entière à cette problématique : « Dénoncer ou alerter » (revue Cadres N° 439). En mars 2012 un Manifeste  pour la responsabilité sociale des ingénieurs et cadres a été adopté et signé par de nombreuses organisations syndicales et ONG au niveau international. Il a été traduit en 5 langues. La CFDT participe activement à l’introduction d’une directive européenne protégeant les lanceurs d’alerte à travers Eurocadres, et à l’OIT, en participant à la Conférence internationale de travail.

La CFDT revendique une alerte responsable qui concerne tous les risques afin que la question de la responsabilité professionnelle comme fondement de la fonction cadre puisse être pleinement assumée dans un environnement protecteur

 

Un dispositif d’alerte professionnelle est un système d’organisation des modalités selon lesquelles les salariés, ou toute autre personne exerçant une activité dans l’établissement, peuvent signaler au responsable, ou éventuellement, à d’autres personnes désignées à cet effet, des problèmes pouvant sérieusement affecter son activité ou engager gravement sa responsabilité.

Le code du travail ne prévoit que les dispositifs en matière de santé et de sécurité et seulement deux circuits s’offrent au lanceur d’alerte lorsqu’il ne peut pas s’adresser à son supérieur hiérarchique : les dispositifs dédiés, de type « whistleblowing » (alerte éthique) sont plutôt mal acceptés, car il est difficile d’importer le devoir moral anglo-saxon à la culture française et le circuit traditionnel qui est celui des institutions représentatives du personnel qui ont fait leur preuves (CHSCT) mais qui demeurent souvent impuissantes à faire modifier les prises de décision.

Un cadre témoin d’un dysfonctionnement majeur est souvent confronté à une difficulté : alerter ou ne pas alerter sa hiérarchie ou un organe extérieur à l’établissement. La conséquence de cette difficulté est souvent un renoncement ou une fuite.

En France, l’alerte éthique s’inscrit dans le principe existant du droit à la liberté d’expression dont bénéficie le salarié mais force est de constater que celle-ci rencontre difficilement les usages. Une tension certaine apparait entre le principe libérateur de l’alerte et les contraintes et limites de la pratique. Effectivement, les organisations bureaucratiques, telles qu’on les trouve chez nous, préfèrent souvent les personnes qui agissent en conformité avec le management et qui respectent l’ordre et l’autorité. En clair, si le lanceur d’alerte est légalement protégé, il subit fréquemment de nombreuses représailles. La crainte des représailles pèse, alors, comme une contrainte qui oriente la décision de souffler ou de ne pas souffler dans le sifflet (whistleblowing).

La proposition de loi globale relative à la protection des lanceurs d’alerte présentée en décembre 2015 apporte des précisions importantes notamment sur la définition du lanceur d’alerte, du signalement, des protections et une longue partie sur la création d’une agence spécifique pour les lanceurs d’alerte ainsi que les sanctions à l’encontre des personnes entravant l’alerte, d’une part, et de l’autre de lanceurs d’alerte de mauvaise foi.

Ce dispositif qui s’inspire à la fois des recommandations de l’OCDE et de Transparency International est largement partagé par la CFDT. Cependant, aucune implication des représentants des salariés n’est évoquée, c’est-à-dire la possibilité de mettre en place des dispositifs d’alerte négociés.

Au mois d’avril, le Conseil d’Etat a publié une étude sur l’alerte intitulée « Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger ».
Les auteurs de l'étude préconisent de consolider le fonctionnement des dispositifs d'alerte autour des principes de proportionnalité, de confidentialité et d'effectivité, en s'inspirant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
De plus, ce rapport suggère aussi la mise en place d’un portail qui transmettrait aux autorités concernés l’alerte au lieu de créer une autorité dédiée. Cette instance serait chargée de rediriger les alertes émises par des personnes ne sachant pas à qui s’adresser, les alertes étant trop spécifiques et techniques pour être traitées par une seule autorité. Par ailleurs, il envisage la possibilité de soutien d’une « Maison des lanceurs d’alerte » animé par la société civile.

 

La CFDT soutient toutes ces initiatives.

Cependant, il y a un manque par rapport à notre demande d’implication des IRP avec des dispositifs négociés dans les entreprises et les administrations.

On constate l’absence totale, dans toutes les propositions d’une implication des Instances Représentatives du Personnel et d’une précision sur le traitement de l’alerte en interne pour les entreprises et les administrations.
Pour nous, le passage par les instances représentatives du personnel reste la meilleure réponse à la prévention des risques multiformes car portés par un collectif ayant de réelles capacités d’analyse et de questionnement des causes réelles et avérées des systèmes à l’origine des dérives et de malversations.

La valeur ajoutée d’un syndicalisme de proximité (résultat que crée notre action auprès des salariés) ne pourra qu’être potentialisée par la prise en compte des situations difficiles auxquelles sont confrontés les cadres lorsqu’ils rencontrent des situations contraires à l’ordre public ou à la pérennité de l’entreprise et qui peuvent mettre en jeu leur responsabilité personnelle. 

Pour aller plus loin :

Une jurisprudence conforte le combat décennal de la CFDT

[Loi Sapin II] L'alerte professionnelle enfin inscrite !

Revue Cadres, numéro 439 : Dénoncer ou alerter ?