Gouvernance et compétitivité

L’innovation n’est pas que technologique : l’action sociale des partenaires sociaux

02 aoû 2017

Jean-Claude Barboul, Secrétaire général de la CFDT Cadres précise en quoi l'action sociale des partenaires sociaux amène de l'innovation.

Les partenaires sociaux sont des acteurs de l’innovation à travers notamment les innovations sociales pour répondre à une aspiration, subvenir à un besoin de la société.

L’innovation n’est pas l’apanage de la technique. L’émergence et la mise en œuvre de dispositifs innovants dans le domaine social est aussi du fait des partenaires sociaux1.

Dans les revendications autour des lanceurs d’alertes, du congé paternité ou du compte personnel d’activité, les organisations syndicales sont souvent à la pointe de l’innovation. Dans le domaine du paritarisme, nous avons aussi souvent été précurseurs de révolutions silencieuses. L’intérêt étant aussi de passer du dire au faire et aux travaux pratiques dans le cadre des marges de manœuvre qui nous sont octroyées.

Nous prendrons deux exemples, les axes prioritaires de l’action sociale Agirc-Arrco et l’investissement socialement responsable.

L’action sociale des régimes complémentaires de retraite Agirc et Arrco.

Les organisations syndicales et patronales ont une activité peu connue au niveau de l’innovation sociale. Dans le cadre de l’action sociale des régimes complémentaires de retraite, l’Agirc-Arrco, les partenaires sociaux ont développé des axes de travail bien souvent en amont de questions sociétales.

L’idée maîtresse est que les régimes complémentaires ne sont pas la puissance publique ni des acteurs de marché. Leur mission d’intérêt général leur confère cependant une responsabilité à agir sans chercher à tout faire. Dès la création des régimes la mise en place d’une action sociale à destination des ressortissants (salariés ou retraités) a été une première réponse. Les réponses d’hier évoluent et peuvent inspirer celles d’aujourd’hui ou laisser place à de nouveaux modes d’action. Dans ce contexte et dans un espace budgétaire contraint, les régimes Agirc-Arrco ont développé une action sociale basée sur le triptyque « innovation, complémentarité et exemplarité ».

La CFDT s’est pleinement investie, dès la création des régimes, dans cette action sociale. Du plus loin que nous remontons dans l’histoire, la CFDT a présidé les deux commissions sociales des deux régimes. C’est encore le cas aujourd’hui avec la présidence CFDT de Brigitte Pisa.

Dans un cadre complémentaire, les partenaires sociaux ont fixé des orientations prioritaires à l’action sociale. Avec un budget d’environ 350 millions d’euros annuels c’est un acteur important mais insuffisant. La CFDT s’est inscrite dans les évolutions de cette action sociale, deux axes ont été priorisés : l’action en direction des demandeurs d’emploi de longue durée et les aidants familiaux.

L’action en direction des demandeurs d’emploi

L’action sociale s’inscrit dans la complémentarité des systèmes existants, elle ne vise pas à suppléer Pôle emploi ou l’Association pour l’emploi des cadres (Apec). L’innovation est venue de la mise en place d’espaces emploi qui se veulent des carrefours de pluridisciplinarité et surtout le creuset d’une approche globale du demandeur d’emploi là où les actions des acteurs historiques sont souvent parcellaires ou en silo. L’innovation a été de décloisonner les interventions pour aider les demandeurs d’emploi.

Dans le cadre de la complémentarité, un partenariat avec l’Apec a été noué pour accompagner spécifiquement le retour à l’emploi de cadres ce dispositif intitulé « équation emploi » accompagne les cadres en situation de fragilité sociale et psychologique.

Les aidants familiaux

Le vieillissement de la population et l’augmentation de l’espérance de vie ont conduit à la cohabitation de plusieurs générations. La question de la dépendance et du grand âge est venue percuter les salariés dans leur rapport à leurs aînés. Très tôt, les partenaires sociaux avaient fait le constat que l’accompagnement d’un parent pouvait avoir des conséquences importantes sur la vie personnelle et professionnelle. La question devient aiguë, si ce parent est dépendant notamment en cas de troubles cognitifs.

La perception d’une évolution sociétale majeure et sa traduction en matière de services prennent du temps. Les partenaires sociaux ont pris en main ces éléments En France, selon les dernières estimations, 4,3 millions de personnes sont considérées comme aidantes d’un proche âgé et 4,5 millions d’un proche en situation de handicap. 20 % des personnes âgées seront dépendantes en fin de vie avec dans la quasi-totalité des cas une fragilité qui n’excédera pas six mois. Mais les situations de perte d’autonomie peuvent parfois durer plusieurs années, en particulier pour les maladies invalidantes où l’accompagnement est alors durable.

La mise en œuvre d’une politique en matière d’aidants familiaux s’est construite notamment autour des solutions permettant de concilier vie personnelle et vie professionnelle du type (conférences débats, sessions d’échanges et d’information, groupes de parole, séjour de répit) là aussi le développement de solutions, organisées au plus près des besoins, et visant à faire sortir les aidants familiaux de l’isolement ont été des mesures innovantes et complémentaires des autres actions.

L’investissement socialement responsable

L’investissement socialement responsable (ISR) est devenu un lieu commun et parfois un moyen de green washing pour les entreprises. Les questions liées à l’investissement socialement responsable ont pris une part importante depuis la crise financière de 2008. Il y a cependant bien longtemps que les organisations syndicales et singulièrement la CFDT se sont mobilisées sur ces questions. Depuis début 2016, un label public pour l’ISR voit définitivement le jour. L’innovation a été portée, il y a longtemps par la CFDT au travers des dispositifs d’épargne salariale. Ainsi la création d’un comité intersyndical de l’épargne salariale (CIES) est opérationnelle en 2001, ce comité a vocation à labelliser les gammes d’épargne salariale pour les recommander aux négociateurs syndicaux et aux salariés. Les premiers versements ont pu être faits dès 2003, mais ce n’est qu’en 2005 que la première gamme a été labellisée.

La gestion des fonds des régimes de retraite

Puis la question se déplace sur la gestion des actifs de la retraite, tout d’abord au sein du régime additionnel de la fonction publique où la CFDT prend le parti de gérer l’ensemble des fonds en ISR. Remercions nos représentantes Chantal Labajes et Michèle Nathan pour leur pugnacité

Du côté Agirc-Arrco, ce sont des débuts modestes mais la CFDT a été très en pointe en revendiquant la bascule de l’ensemble du portefeuille des réserves sur des supports ISR. Près du quart du portefeuille des retraites complémentaires, soit quelque 12,5 milliards d’euros, sont aujourd’hui gérés sous critères ISR. Là aussi notre action au sein des commissions financières paie au niveau des régimes mais aussi des groupes de protection sociale. Ainsi autour des groupes Ag2rLa Mondiale, Klésia et Ocirp. C’est un fonds de 200 millions d’euros qui a été créé pour soutenir les entreprises innovantes.

Enfin, du côté de la retraite des agents non titulaires de l’Etat et des collectivités (Ircantec2), la mobilisation de notre président CFDT Jean-Pierre Coste a été déterminante pour passer sous gestion ISR l’ensemble des réserves du régime.

La suite est aussi dans l’action sur la gouvernance des entreprises dont les gérants détiennent les actifs. L’obligation de décider de la rémunération des dirigeants Say on pay3 a été l’occasion de mobiliser les Asset Managers sur les directives de votes en Assemblée générale. Les exemples de Renault et de Sanofi ont montré une forte mobilisation sur le sujet. Tout cela au grand dam des postures convenues des organisations d’employeurs qui ont bien souvent des pudeurs incompréhensibles.

Ces différents exemples montrent, qu’au-delà des effets d’annonce et du « syndicalisme bashing » ambiant, les organisations syndicales apportent aussi des innovations à nos concitoyens. Nous n’avons pas évoqué ce qui se passe au cœur des entreprises. Là aussi, les innovations sur la captation des aspirations des salariés, leur traduction en revendications et en négociations sont légion.

1 : Selon le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire, l’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers.

* : Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés. Association générale des institutions de retraite des cadres.

2 : Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques.

3 : Cette expression anglaise signifie que les entreprises cotées doivent permettre à leurs actionnaires de se prononcer sur les systèmes de rémunération des dirigeants.