Gouvernance et compétitivité

Zone euro : éclatement ou fédération

03 avr 2012

La crise est un défi posé à nos systèmes démocratiques. Note de lecture du dernier ouvrage de M. Aglietta


Après nous en avoir expliqué les mécanismes (La crise, pourquoi en est-on arrivé là ?) et envisagé comment s’en sortir (La crise, les voies de la sortie), le dernier opus de Michel Aglietta place les Européens devant leurs responsabilités. Seule une transformation politique du continent permet d’envisager une croissance durable et une sortie progressive de la crise de la dette. Accusés, les responsables nationaux, d’avoir bâti une monnaie certes accélérateur d’échanges, mais en gardant le frein à main sur la politique monétaire. Accusés, les produits bancaires qui nourrissent la finance d’une spéculation qu’aucune économie réelle ne peut soutenir. Accusé, l’inefficace culte de la notation. Accusée, la peur inflationniste allemande légitimant l’orthodoxie monétaire. Accusée, la frilosité française à bâtir une fédération économique. Nous traversons depuis cinq ans une crise généralisée du capitalisme. L’heure est donc grave et les réponses sont faibles. Si la conjoncture paraît, début 2012, plus favorable, la dimension de la crise actuelle demeure systémique. Le récent accord sur la dette grecque est ambitieux, mais le traité intergouvernemental (issu de l’accord du 9 décembre 2011) ne suffira pas à empêcher la contagion à d’autres pays. Quant aux plans d’austérité, ils signent la fin d’une croissance rapide. Les politiques publiques européennes depuis vingt ans se révèlent désastreuses. Aujourd’hui, l’éclatement de la zone euro n’est plus improbable alors qu’une fédération européenne semble utopique. Alors, que faire ? M. Aglietta appelle à choisir entre l’acceptation d’un délitement lent de la zone euro ou celle d’un partage progressif de la souveraineté budgétaire. La crise de l’euro signe l’incohérence de l’intégrisme libéral, puisque la stabilité des prix (une monnaie forte pour lutter contre l’inflation) n’implique pas la stabilité financière. Or, monnaie et dette publique sont liées.

Il s’agit donc de refonder la politique monétaire européenne.La modification de la doctrine monétaire de la BCE est incontournable,L’enjeu est donc de concevoir une stratégie de trajectoire crédible des finances publiques. La rigueur n’est pas l’austérité et une politique budgétaire doit être tournée sur le long terme. C’est là que devrait intervenir une réforme de la gouvernance : la zone euro doit se doter d’une autorité de surveillance des politiques budgétaires nationales, en dialogue avec la BCE pour un policy mix. C’est sur cette base que pourront être émis des Eurobonds. Loin d’être un plan d’urgence, l’ouvrage résume un véritable choix politique qui tourne le dos à l’idéologie libérale qui a abouti en Europe « au fiasco de la stratégie de Lisbonne » et « va provoquer un désastre encore pire avec la combinaison d’austérité budgétaire et de politiques structurelles » inadaptées. En jeu, les conditions d’une croissance durable, seule réponse à la crise de la dette. Car l’union budgétaire et la formation d’un marché financier stable et unifié par les eurobonds ne suffiront même pas. « Pour que la zone euro ait un avenir, il faut un projet de développement et d’innovation sur l’ensemble des activités économiques, porté par des dirigeants politiques dotés d’une vision à long terme et capables de mobiliser les populations dans ce sens ». Écrit à partir d’entretiens avec Richard Robert, ancien rédacteur en chef de Cadres CFDT, le livre pose les jalons d’une mobilisation très ambitieuse, mais réaliste. La crise financière est bien un défi posé à nos systèmes démocratiques. Elle a mis un terme à l’illusion d’une économie financière porteuse de la croissance. L’exigence de la dette aujourd’hui est moins de rembourser l’intégralité que d’être en mesure de dépasser les intérêts individuels immédiats. La soutenabilité est un processus de très long terme. L’Europe sortirait ainsi renforcée sur le plan mondial en participant à la stabilité monétaire internationale.

 

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