Numérique et télétravail

Web 2.0 : un nouveau droit à la communication horizontale

02 avr 2012

Quelle jurisprudence pour les cadres et les syndicats ? Par Jean-Emmanuel Ray.


Quelle jurisprudence pour les cadres et les syndicats ? Entretien avec Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à Paris I-Sorbonne et à Sciences Po (extrait). L’avènement du web 2.0 dans les entreprises constitue une véritable révolution dans les relations d’autorité et dans les pratiques du dialogue social. Il y a moins de verticalité et d’autorité tombant naturellement d’en haut et plus d’horizontalité, de consensus et de partage. La liberté de communication s’est étendue. Mais cette reconnaissance ne veut pas dire que l’accès à Internet soit un droit fondamental, a fortiori dans l’entreprise, lieu privé où les systèmes d’information appartiennent à l’employeur. C’est ce qu’indique le Code du travail s’agissant de communication syndicale électronique en interne.


La révolution du web 2.0 rend-elle les cadres plus autonomes, ou au contraire davantage pris dans la chaîne hiérarchique ?

Hier, l’encadrement tenait son pouvoir de son rang hiérarchique (le « supérieur »), et de son monopole dans la diffusion de l’information descendante. Aujourd’hui, et sans parler de l’injonction paradoxale (plus autonome dans des process très affinés avec reporting permanent), deux types d’autorité différente et plus légitime émergent. La première fonctionne en particulier à l’égard des jeunes générations, le manager restant le supérieur s’il conjugue expertise et exemplarité. La seconde fonctionne grâce aux réseaux sociaux internes d’où émergent parfois des « autorités horizontales », des « sans grade » jusqu’ici inconnus mais qui ont de fidèles « suiveurs ». Le modèle de la subordination sur lequel a été fondé au début du XXème siècle le droit du travail n’est ni efficace, ni adapté aux travailleurs d’aujourd’hui. Elle se révèle contre-productive en termes de réactivité et de créativité. Le travail en réseau fait alors plus difficile à encadrer.

La Toile devient alors arachnéenne, avec une connexion psychologique voire technique permanente et les risques qui vont avec en termes de santé mentale. Ainsi de la « charge de travail » d’un cadre : comment la mesurer objectivement, à l’ancienne, de façon quantitative et internationale ? La surcharge semble d’abord communicationnelle et par ricochet informationnelle. Et comme le travail intellectuel a le don d’ubiquité, elle nécessite de s’intéresser aussi à la vie qualifiée de privée et donc « hors travail ». Cette dissolution des frontières vie professionnelle / vie personnelle se retrouve enfin dans les « licenciements Facebook ». Le tribunal correctionnel de Paris a rappelé le 12 janvier 2012 qu’au-delà du lien professionnel, un citoyen ne pouvait en injurier un autre, y compris sur un blog syndical.


Qu’en est-il des pratiques syndicales à l’heure du web 2.0 ?

Comme nombre de directions d’entreprise, les syndicats semblent un peu dépassés par la rapidité de l’évolution des TNIC. S’agissant de communication papier, la loi du 27 décembre 1968 avait institué un « droit à la distribution » de tracts. C’est une grande différence avec le régime très spécial de l’article L. 2142-6 issu de la loi du 4 mai 2004 où il n’existe aucun « droit à la diffusion » : « Un accord d’entreprise peut autoriser la mise à disposition des publications et tracts de nature syndicale, soit sur un site syndical mis en place sur l’intranet de l’entreprise, soit par diffusion sur la messagerie électronique de l’entreprise ».

Une évolution semble aujourd’hui nécessaire. La communication électronique fait désormais partie de notre quotidien. Avec l’apparition de réseaux sociaux internes à l’entreprise où le partage est la règle, il paraît impensable d’interdire de tels échanges avec les syndicats, et de voir leurs courriels rabaissés par le pare-feu de l’entreprise au niveau des messages « indésirables ». En nos temps d’éclatement à la fois géographique et temporel de la collectivité de travail, il faut joindre tous les travailleurs, de plus en plus nomades, des télétravailleurs aux autres itinérants. Comment faire si l’entreprise comporte des dizaines d’agences, en France ou à l’étranger ? Tous ces Sans Bureau Fixe restent accessibles partout grâce à leur téléphone mobile et/ou leur adresse électronique. Enfin, le militantisme syndical n’est plus ce qu’il était : rédiger, reproduire et distribuer des tracts papier exige de nombreux militants; mais un seul peut en cinq minutes rédiger et envoyer un courriel syndical à de nombreux sympathisants. Cette diffusion risque de conduire à un syndicalisme tout aussi virtuel. Car à l’instar du e-learning constituant pour l’élève et l’enseignant une catastrophe pédagogique, le syndicalisme ne peut à l’évidence se résumer à un courriel mensuel et un tchat sur Facebook.

La question du réseau social interne à l’entreprise se pose également. S’inspirant de Wikipedia et voulant parfois ré internaliser les vives discussions sur les forums externes, il encourage les échanges horizontaux, « hors hiérarchie » dans tous les sens du terme. Nombre de managers ne maîtrisent alors plus l’accès à l’information interne mais aussi externe, et y sont l’objet de critiques. Ce même sentiment mitigé existe chez des représentants du personnel ou des syndicalistes souvent seniors, gênés par ces forums et autres référendums permanents remettant parfois en cause leur représentativité réelle et la présomption pour eux irréfragable d’être le « porte-parole » des salariés.
 

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Télécharger l’article dans son intégralité à paraître dans Cadres CFDT n°448 Opportunités numériques, avril 2012