Management et organisation

Reconnaître le travailleur comme acteur

11 oct 2011

La revue Esprit pose les jalons d’une nouvelle politique publique du travail.


Loin des grands mots, les grands remèdes. Avec Exister au travail, la revue Esprit ambitionne de renouveler l’angle de vue des politiques du travail, présentant « une élaboration critique ouvrant sur des perspectives d’action individuelle et collective. »

L’idée maîtresse est de placer le travailleur non pas en situation de victime ou de coupable, comme l’y pousse le bruit ambiant du débat public, mais comme un acteur. Sur la scène du travail, on joue la production d’une activité mais également l’affirmation de soi. Recherche de la performance, création de valeur et reconnaissance de son individualité sont ainsi liées.

C’est bien la proximité entière avec l’acte de travailler qui permet de se décentrer de la posture compassionnelle dans laquelle demeure actuellement enfermée l’expression sur le travail. L’exigence est forte : affrontant le discours généraliste « qui rabote le fait que toute activité de travail résonne pour chacun dans sa propre histoire et dans sa propre expérience », cette approche complexe propose de dépasser l’organisation scientifique du travail qui réduit « l’exigence de coopération vive en simple coordination entre les travailleurs ». L’idée même d’un travail organisable a priori et séparé du travailleur a vécu ! L’objectivation et les excès de reporting, dont vivent les politiques en ressources humaines, mènent à cent lieux de la réalité du travailleur... De même, la gestion individualisante ne parvient pas à identifier en quoi l’œuvre commune est le résultat d’un collectif de travail.

Reconnaître pleinement l’activité, c’est ainsi comprendre ce qu’« exister au travail » veut dire : un tout. Métier et savoir-faire, mais aussi épreuves. L’émancipation du travailleur passe par une appropriation, par « l’élaboration dans le cours de l’activité de voies pour dépasser les contraintes et de s’en affranchir » ; et finalement réussir. Ce que l'un des auteurs résume ainsi : « ce par quoi le travail devient mon travail est le produit d’une lutte que chacun mène nécessairement pour faire sien le travail et se l’approprier, pour faire valoir le travail face à l’organisation. » Le travailleur est donc appelé à « trouver la bonne distance par rapport au travail ». Et il faut l’aider « reconstruire l’autonomie dans l’interdépendance »

Loin de se satisfaire de la gouvernance financière comme cause du mal-être, ce numéro essentiel d'Esprit appelle à repenser une politique publique du travail dégagée du « registre de la plainte » (F. Ginsbourger). Une politique qui ne se dégage pas de ses propres responsabilités et qui appelle à mettre en scène tous les acteurs.

La réflexion est ainsi utile dès aujourd’hui pour les responsables (managers, ressources humaines) de proximité : reconnaître le travail, améliorer les conditions de travail, et être attentif au travailleur comme une personne ne suffit pas. Celui-ci est avant tout un acteur. Reconnaître l'activité et ce qu'elle produit demeure la meilleure façon de favoriser l'engagement.
 

Esprit, Exister au travail, octobre 2011

  • Sens et valeurs du travail, Yves Lichtenberger
  • À l’heure où le travail est souvent vu comme épuisant et destructeur, comment peut-on lui redonner une valeur ?
  • La révolution des interdépendances, Francis Ginsbourger
  • Il importe d’équiper les individus pour que l’autonomie ne soit pas une injonction abstraite.
  • Des comportements plus individualistes ?, Francis Ginsbourger, Marc-Olivier Padis et Joël Roman
  • L’organisation, une réorganisation permanente, Pascal Ughetto
  • C’est dans la discussion sur le travail et ses tensions, dont tous les salariés doivent être partie prenante, que l’organisation peut aider chacun à trouver sa place.
  • La formation en entreprise : un droit individuel garanti collectivement, Michel Théry et Josiane Véro
  • Pour une « approche par les capacités » qui suppose à la fois que les salariés puissent exprimer leur besoin de formation et voir reconnue leur capacité de progresser.
  • Pour anticiper les mutations, revenir au travail, Entretien avec Jean-Paul Bouchet et Patrick Pierron (CFDT)
  • Les formes actuelles du dialogue social ne permettent pas une prise en compte suffisante des transformations du travail et des attentes des salariés.
  • Des risques psychosociaux bien encombrants, Damien Cru
  • Pour comprendre la souffrance au travail, l’« approche organisationnelle » ne se focalise pas exclusivement sur l’individu.
  • Souffrir au travail : purger les passions ou ouvrir la voie à l’action ?, Alain Ehrenberg
  • Le registre de la plainte installe une idée de l’individu et des responsabilités de la société à son égard qui ouvre peu de perspectives à l’action collective et aux ressources de la subjectivité.
  • Reconnaissance et appropriation : pour une anthropologie du travail, Philippe Bernoux
  • Les salariés attendent une juste reconnaissance de leur part prise dans l’action commune et de leur capacité de s’approprier la tâche qui leur est confiée. Ces revendications appellent une meilleure compréhension du rapport humain au travail.

esprit.presse.fr / exister au travail

A lire en amont : la revue Projet revient sur les mutations du travail et ses effets sur les travailleurs. François Piotet (Le piège de la souffrance au travail) propose une synthèse des transformations du travail. En échos, Patrick Dieuaide (L’évolution du travail en France face à la mondialisation) dresse une photo de la nouvelle division du travail. Conséquence, comment prescrire un travail devenu évolutif ? se demandent Laurent Caron, Marylène Coppi, Laurence Théry et Alexandre Vasselin (Devant l’impossibilité de faire le travail prescrit). L’exploration de la révolution managériale (Management, les maux pour le dire, Vincent de Gaulejac) illustre les limites (Le management au risque de la dérision, Eric Faÿ) des modèles actuels.

Enfin, avec son dernier ouvrage, François Chérèque prouve, s’il le fallait, la place centrale de l’acteur syndical dans sa démarche de « dire le travail ». Patricia, Romain, Nabila et les autres. Le travail, entre souffrance et fierté (**) est une véritable plongée sur la scène du travail. Un témoignage au plus au niveau parti du terrain tout en bas… Evitant les généralités, le reportage est incontournable pour qui entend défendre la nouvelle approche du travail prônée par Esprit.

(*) Projet, Le travail facteur d’isolement ?, septembre 2011
(**) Albin Michel, septembre 2011