Gouvernance et compétitivité

« L'évaluation de la performance ne doit pas se limiter à une approche comptable »

02 fév 2011

L'interview de Jean-Paul Bouchet au Fil AFP-Liaisons sociales.


Le secrétaire général de la CFDT-Cadres Jean-Paul Bouchet, a souligné lors du colloque (1) de l'Observatoire des cadres de la CFDT que l'évaluation de la performance "ne devait pas se limiter pas à une approche comptable, encadrée par des tableaux de bord".

 

Liaisons Sociales : Les médias ont beaucoup parlé ces derniers temps de l'évaluation de la performance des salariés. Pourquoi avez-vous décidé d'organiser un colloque sur ce sujet ?

Jean-Paul Bouchet : Le colloque visait à aller delà des impressions, en écoutant ce qu'en disent les différents acteurs (salariés, consultants RH, managers, dirigeants). Les intervenants du ministère des Finances, ceux des collectivités territoriales, l'ont bien dit : la performance ne se résume pas à une approche comptable, encadrée par des tableaux de bord. Il faut aussi considérer les conditions de service, l'efficacité du résultat. L'autre objectif du colloque concernait l'interrogation d'un modèle, autour du pilotage des entreprises, avec en toile de fond, la crise financière et certaines dérives liées à l'évaluation. On souhaitait réfléchir sur le décalage qui existe entre, d'une part, une individualisation des modes de gestion de la performance, et d'autre part, un discours porté sur la nécessité d'un projet collectif, d'une cohésion de groupe, où tout le monde doit tirer dans le même sens.


L.S. : En quoi ces débats vous ont-ils marqué ?

J-P. B. : Je me rappelle de la parole d'une syndicaliste, cadre intermédiaire de la fonction publique hospitalière, expliquant qu'elle passait une grande partie de son temps à établir des actes, remplir des cases, au lieu de délivrer un service. Elle se posait amèrement la question suivante : pour qui je travaille ? Pour mon chef ou pour le patient ?

Lorsque la finalité est perdue de vue, il ne reste plus rien de la performance, en tant que telle. Aussi, elle a été surinstrumentalisée. C'est un peu comme si les dirigeants, conscients de leur éloignement grandissant du terrain, s'étaient entourés d'outils leur permettant de remedier à cette distance. Je ne dis pas qu'il ne faut pas de l'évaluation, ni même une évolution des indicateurs.

Mais pour l'instant, il n'y a quasiment pas de co-construction. Pour moi, l'exemple d'EADS a illustré les limites de ce raisonnement. Le comité directeur, après avoir été alerté par les syndicalistes, s'est aperçu que les indicateurs ne lui avaient pas permis de voir les problèmes. Les dirigeants ont fini par convenir que la forte intégration du groupe avait pu distendre les relations humaines. Ils ont ainsi décidé d'aller vers la redécouverte du terrain, de redéployer des gestionnaires RH au contact des salariés. Mais cela ne doit pas sonner creux.


L.S. : Que préconisez-vous ?

J.-P. B. : Les managers de proximité ont été mis à toutes les sauces pour résoudre les conflits sans que l'on n'évoque les moyens mis à leur disposition. Ils sont souvent enfermés dans une logique de reporting incessant, qui les éloignent eux-aussi du terrain. Beaucoup d'entre eux en sont conscients, tout commes des limites de certains critères, mais que peuvent-ils faire ? Il faudrait qu'ils puissent bénéficier réellement de la liberté d'expression. Par ailleurs, il est nécessaire de rediscuter des problèmes d'organisation du travail, afin de leur redonner des marges de manoeuvre.

Syndicalement, les CE, les CHSCT font remonter des problèmes dans les instances dirigeantes. Il est courant que ces dernières les découvrent à cette occasion. Les IRP doivent être davantage associées au processus d'évaluation. Plus le syndicaliste sera en lien avec les salariés, plus il pourra rendre visible ce qu'il ne l'est pas et plus il sera utile. La parole collective portée par les représentants du personnel est essentielle pour que le dispositif d'évaluation de la performance soit co-construit.


(1) "Tous performants ! Management et performance à l'épreuve des pratiques", organisé par l'Observatoire des cadres CDFT, le 28 janvier, à Paris.

 

Propos recueillis par David Giraud - Liaisons Sociales. Source : Fil AFP - Liaisons sociales, 02/02/2011