Fonctions publiques et réformes

Pour un management socialement responsable

09 sep 2014

Rôle, fonction et travail des cadres dans le secteur hospitalier dans un contexte de réformes profondes. Par Youssef Ghennam.


Dans la continuité de sa précédente résolution, la Fédération CFDT Santé-Sociaux réaffirme sa volonté de se développer et d’accueillir des adhérents de plus en plus nombreux dans son champ professionnel afin d’être une force de propositions. Celle-ci se traduit par le souhait que les personnels d’encadrement trouvent toute leur place dans les structures et dans l’action syndicales, à tous les niveaux. La syndicalisation des cadres s’inscrit dans la nécessité affirmée de la CFDT Santé-Sociaux de représenter toutes les catégories de professionnels du champ sanitaire. Dans notre légitimité de représentation de toute la diversité du salariat, nous prenons régulièrement le temps d’enquêter en proximité, d’interroger les cadres, les ingénieurs, les experts et les managers. Que critiquent-ils ou pointent-ils comme dysfonctionnements ?


La détérioration des conditions de travail

Au travers des enquêtes menées, les cadres soulignent tous l’augmentation de leur charge de travail et une adaptation incessante aux changements. Le contenu de leur travail connait de grande variations. Les interruptions sont nombreuses et la gestion quotidienne des imprévus alourdit des conditions de travail déjà difficiles. Tous ces éléments entrainent une désorganisation constante de la gestion du temps ainsi qu’une impression d’urgence permanente et déstabilisante. Cette surcharge de travail empiète de plus en plus sur la vie personnelle. Elle entretient une porosité des temps professionnels et personnels qui majore d’autant les risques psychosociaux des cadres.


La non-implication des cadres dans les processus de décision

Les cadres sont, dans leurs missions, vecteurs et acteurs de la conduite du changement, mais également victimes de ces transformations dont ils n’ont pas été informés et encore moins associés à l’élaboration. Soigneusement tenus à l’écart du fait de leur rôle charnière, le point de vue et les préoccupations des cadres intermédiaires revêtent néanmoins un caractère important. Les notions d’autorité fonctionnelle et hiérarchique se confondent et risquent ainsi de se complexifier du fait de ce manque de clarification des lignes hiérarchiques (périmètre d’intervention, niveau de décision, autonomie…).
 

La non-reconnaissance

Leur travail est d’autant moins reconnu qu’il a la particularité de rester invisible s’il est mené à bien. Le cadre de santé est l’acteur de proximité qui se situe le plus près des équipes. Sa fonction et son statut implique une capacité de glisser dès la prise de fonction d’une posture et d’un métier de soignant à un rôle d’encadrant (manager). Les cadres ont un rôle essentiel pour donner du sens : on attend des managers qu’ils arbitrent mais la fonction de gestion des contradictions devient de plus en plus difficile. La nature du travail a changé. De réformes en changements successifs, on assiste à une addition de modifications et de tâches chronophages. La fonction cadre est aujourd’hui beaucoup plus dépendante des autres services et reliée à des lieux de décisions multiples dont elle doit porter et assumer les positions. L’encadrement se trouve alors dans un rôle de médiateur entre les décisions auxquelles il ne participe pas et les équipes de terrain. Face à une telle fonction, au carrefour de compétences aussi techniques que relationnelles, les cadres de santé s’interrogent sur la nature et le devenir de leur profession. Cette interrogation est concomitante aux enjeux soulevés par la nouvelle gouvernance qui interpelle ainsi leur fonction et leur rôle dans la gestion de proximité.
 

La nouvelle gouvernance

L’amplitude et la profondeur des réformes qui affectent l’hôpital depuis de nombreuses années (agences régionales de l’hospitalisation, schémas régionaux d’organisation des soins, droit des malades, tarification à l’activité, loi « hôpital, patients, santé et territoires », agences régionales de santé) suffisent à illustrer l’idée que la fonction publique hospitalière connait des changements profonds dans toutes les dimensions de son fonctionnement. Ces réformes successives ont fortement modifié le cadre hérité, en introduisant de nouveaux principes d’action (territoires de santé, droit des usagers, droit des patients, démocratie sanitaire...), en recomposant les systèmes d’acteurs et en introduisant de nouvelles formes de management (évaluation, référentiel, accréditation, contractualisation, démarche qualité…). Nous sommes confrontés à une approche novatrice mais sans que les logiques antérieures aient été abandonnées. On s’est contenté de superposer des finalités et de nouveaux modes de fonctionnement sur une administration maintenue dans son cadre sans que soit résolu le problème de leur appropriation. La prégnance des logiques managériales liée au développement des contraintes financières bouleverse les équilibres antérieurs au sein des hôpitaux : à la logique dominante  médicale qui subordonnait les fonctions administratives se substitue une autre logique dans laquelle les métiers du soin doivent intégrer les rationalités gestionnaires. L’évolution des finalités du travail induit dès lors des conflits éthiques pouvant être à la source de souffrance au travail ressentis par les cadres sommés de procéder en permanence à des arbitrages et des recherches d’équilibre entre ces orientations diverses. 


Les enquêtes de la CFDT Cadres et de la Fédération Santé-Sociaux

Les enquêtes de la CFDT Cadres « La parole aux A » ainsi que celle de la Fédération Santé-Sociaux sur « les conditions de travail » en 2011 font ressortir une vraie problématique du management. A ce jour, les établissements de notre champ d’activité et surtout les établissements hospitaliers connaissent des tensions internes préoccupantes. Les cadres interrogés revendiquent en priorité l’amélioration de leurs conditions de travail avant la question de leur rémunération. Preuve que cette préoccupation est majeure. La majorité des cadres estiment remplir leur mission, mais plus difficilement aujourd’hui du fait de l’intensification du travail. Les tâches se sont diversifiées, complexifiées, surajoutées les unes aux autres, au fur et à mesure de l’évolution de la technicité, des réformes, des réglementations et des restrictions budgétaires. Les restructurations et les réformes continuelles affectent l’organisation, décrite « à géométrie variable », fluctuant selon les décisions directoriales. Cette surcharge empiète sur la vie personnelle, puisque de nombreux cadres emportent fréquemment du travail à domicile et peu d’entre eux parviennent à maintenir la coupure entre vie professionnelle et vie personnelle. Plus préoccupant, la quasi-totalité des cadres sollicités craignent de faire des erreurs à cause de leur surcharge de travail. Le manque de communication et de temps en termes de passage d’information sont aussi fortement mis en cause. Alors que les cadres sont décrits comme des acteurs du changement, ils ne reçoivent pas les informations satisfaisantes sur les réformes qui impactent leur service. Ils ne sont guère consultés ! Quel que soit le lieu d’exercice, un cadre sur deux se sent ainsi isolé face aux difficultés rencontrées et regrette de ne pas disposer d’un espace de dialogue. Le terme « injonctions » plutôt que « échanges ou négociations » est utilisé pour qualifier les échanges actuels. Les cadres regrettent la perte de ces lieux de réflexion, de regard critique et constructif sur l’environnement professionnel. En effet, ces espaces de temps sont les premiers sacrifiés au vu d’une organisation élaborée à court terme. Comment en effet réguler les relations professionnelles si on n’en bénéficie pas soi-même ? Une marge suffisante d’autonomie n’est reconnue que par la moitié des cadres sollicités et la création des pôles a amplifié le sentiment de n’être que de simples exécutants, absents des processus de consultation et même d’information. La plupart du temps, les réformes se traduisent uniquement en termes comptables sur le terrain, au plus près des usagers et des professionnels. Réorganisations, réformes en tout genre et fusions diverses percutent les cadres et leur espace de management. Elles entrainent beaucoup de questionnements, de remises en cause et de perte de sens. Or, pour agir dans sa fonction et en responsabilité, le manager doit avoir une perception claire de sa mission (quitte à devoir la préciser avec sa hiérarchie), du sens qu’il lui donne, de son rôle et des objectifs fixés. Il doit pouvoir identifier le marges dont il dispose ou qu’il peut créer, ainsi que les limites.


Pas de qualité de vie au travail sans qualité de vie au travail des cadres !

Au-delà du simple constat, cela nous invite surtout, nous, syndicalistes, à une analyse critique et à formuler des propositions pour réhabiliter le management et démontrer qu’un autre management est possible. Le syndicalisme et celui que nous incarnons à la CFDT ne peut rester indifférent à cette situation. Si les logiques de coopération et d’efficacité ont été mises à mal au profit d’une rentabilité de court terme, elles restent indispensables à la bonne marche des organisations. Les cadres, « salariés à part entière » et non pas tout à fait comme les autres, sont logés à la même enseigne. Ils récupèrent du prescrit mais ils doivent en  permanence le transformer tout en tenant compte de l’expérience réelle des agents.


Prévenir les risques psychosociaux auprès des cadres de proximité

Pour la CFDT, il n’y aura pas d’action résolue pour la qualité de vie au travail sans y associer fortement les cadres de proximité. Pour y parvenir, la CFDT a identifié, comme principal levier d’action à intégrer dans les négociations, la mise en place d’espaces d’expression des agents. Le développement de nouvelles formes de travail caractérisées par la protocolisation croissante et par du reporting permanent tout en maintenant des méthodes de management qui incitent simultanément à la prise d’initiatives font que les cadres de proximité se trouvent en situation d’injonctions paradoxales. A cet effet, il conviendra de repenser des modes de management, d’organisation et de vie sociale au sein des établissements qui permettent de créer un nouvel équilibre, intégrant la performance sociale et économique. Cela pourra être caractérisé par la création d’espaces de discussion qui devront être l’expression et l’échange sur les conditions de travail, sur l’organisation du travail et les pratiques professionnelles. Il ne s’agira pas de se juger ou même d’échanger des « bonnes pratiques » mais à travers une réflexion entre pairs, de se réapproprier sa puissance d’agir. Quitte à prendre ses distances avec les injonctions extérieures qui cherchent à remodeler, voire formater le travail d’encadrement. Citons le Rapport pour une prévention durable des risques psychosociaux dans les fonctions publiques territoriales et hospitalières (Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, mars 2013) : « C’est donc dans la capacité à construire des espaces de débat, de discussion et de recherche de compromis que tient la possibilité de créer une relative cohérence avec un accord collectif sur les finalités... Puisque le sens du travail n’est plus un donné qui structure une fois pour toutes les collectifs et les individus, il revient aux acteurs de le construire en commun par la production d’une intelligence collective concernant les contraintes qui leurs sont communes et par la capacité à établir des compromis relativement stables concernant les finalités et les modalités de mise en œuvre des activités ». Enfin, le rapport final pour la Direction Générale des Finances Publiques « Cadres de proximité : construire un environnement capacitant » (Ires, février 2014) précise que l’environnement des cadres doit évoluer, se transformer par la prise en compte des difficultés et des contradictions à piloter dans un cadre contraint. Et ainsi entrer dans un travail d’organisation favorisant le développement des compétences et de l’autonomie. Ceci permettant de préserver et développer les collectifs de travail ainsi que le travail collectif. Et contribuant à l’amélioration de la santé au travail des cadres et de celle de leurs équipes.

Le temps de la réflexion collective manque cruellement, car les cadres de proximité sont de plus en plus isolés et mis en concurrence par les nouvelles techniques managériales pris dans le tourbillon des réunions et des procédures. Ces espaces d’expression ne pourront se concevoir sans une évolution de l’organisation du travail vers davantage d’autonomie et du renforcement du rôle et des moyens du management de proximité.