Gouvernance et compétitivité

Penser une égalité des singularités

20 déc 2011

Pierre Rosanvallon, La société des égaux, Le Seuil, 2011


Un grand livre, dont à n’en pas douter l’influence restera grande pendant longtemps. Un livre d’histoire très érudit, mais aussi un livre pour l’action : politique, syndicale, citoyenne. Après sa lecture, on ne pourra plus penser de la même manière des questions aussi diverses que l’avenir de la protection sociale, le multiculturalisme, le management ou … la place d’un syndicalisme de cadres dans une confédération multi catégorielle comme la CFDT (*).

Rosanvallon part du constat suivant : au moment où la démocratie s’impose comme modèle politique partout dans le monde, le lien entre les citoyens est en train de se déliter dans les pays dits démocratiques. Non seulement les inégalités de revenus s’accroissent en leur sein, au point que les plus riches sont tentés maintenant de « faire sécession », mais il y a pis : le sentiment d’appartenir à un monde commun, de « faire société » est en train de s’évanouir. L’auteur souligne un paradoxe : tout le monde ou presque dénonce le niveau excessif des inégalités, mais chacun finalement s’en accommode. Il y a consentement de fait à l’inégalité. Nombreux sont ceux qui, par exemple, dénoncent l’injustice du système éducatif tout en cherchant à éviter les obligations de la carte scolaire.

Rosanvallon esquisse- il précise qu’il s’agit d’une première ébauche - les principes qui pourraient permettre de bâtir une nouvelle « société des égaux ». Plutôt que de reprendre les principes de justice distributive énoncés par John Rawls et Amartya Sen, il a l’intuition - géniale - de renouer avec la conception de l’égalité comme relation entre les citoyens, telle qu’elle fut formulée au moment de la révolution française. L’esprit révolutionnaire de l’égalité s’était construit autour des principes de similarité, d’autonomie des individus et de citoyenneté. Il s’agit maintenant de penser une « égalité des singularités », qui se superpose au projet originel d’une société de semblables. L’idée de citoyenneté a de son côté besoin d’être enrichie, car il ne s’agit plus seulement de partager la souveraineté politique, mais de « faire société » ensemble. D’où l’impératif de communalité, qui vise à construire un monde commun : Rosanvallon en décrit les trois dimensions : le commun - participation, fondé sur le fait de vivre ensemble les mêmes événements ; le commun - intercompréhension, fondé sur une connaissance réciproque ; le commun - circulation, fondé sur le partage de l’espace. Enfin, c’est le principe générique de réciprocité, au sens d’un équilibre des engagements dans la vie sociale, qui doit se substituer à la perspective plus étroite d’une égalité de marché. Le sentiment est prégnant aujourd’hui d’une rupture flagrante et répétée de la réciprocité, principalement mais pas uniquement de la part des plus riches, sentiment qui est au cœur de la défiance sociale et alimente à son tour la crise de légitimité de l’Etat-providence et la fuite devant l’impôt.

(*) Sujet sur lequel on reviendra longuement, lors du colloque organisé le 29 mars 2012, en présence de l’auteur, pour les 15 ans de l’Observatoire des Cadres.

 

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